Amis spectateurs,

Faut-il que tout change pour que rien ne change ? Pour cette douzième édition, la Semaine de Théâtre Antique modifie quelque peu ses dispositifs mais ne sacrifie rien de l’essentiel en vous invitant une fois encore à prendre plaisir à ce parcours diversifié à travers les champs élyséens d’un patrimoine inaliénable.

C’est bien là l’étrange secret des richesses que l’us et même l’abus n’épuisent pas, ces richesses qui se renouvellent à l’aune de leur emploi. Textes, images, musiques, mouvements sans cesse à reprendre, à oublier, à redécouvrir : la même émotion et pourtant à chaque fois unique à écouter l’appel de l’aède, les mots connus par cœur et reconnus lors même qu’on ne sait plus les dire, compagnons de vie et de pensée.

Avec eux tout est possible ou presque, à respecter, infiniment, à malmener aussi, à bousculer sans craindre ni maladresse ni audaces : ils résistent sans peine à toutes nos provocations ! Antigone peut hanter nos plateaux, encore et encore ; ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, elle peut se faire, on peut la voir abyssinienne avec Demodocos ou petite peste chez Anouilh, elle est à jamais celle qui dit non parce qu’elle sait à quoi et à qui elle dit oui.

Alors ces changements ? Une période qui vous convient mieux, un report le lendemain de la date prévue en cas d’intempérie, des jardins pour vous accueillir, presque rien donc, et plus fort que tout le souvenir de celle dont nous sommes nombreux à avoir reçu et accepté l’ardente obligation de transmettre des mots et des images vecteurs de sens, Madame de Romilly.

Au cœur d’une programmation diversifiée selon nos critères habituels de sélection, un spécial Théâtre Demodocos rend hommage au travail réalisé depuis vingt ans par Philippe Brunet et ses équipes pour faire découvrir et aimer le théâtre et la littérature de la Grèce et de la Rome antique. Trois auteurs (Homère, Eschyle, Sophocle), trois œuvres (L’Iliade, L’Orestie, Antigone) : des phares qui éclairent encore notre monde et notre culture vont une fois de plus donner raison à Madame de Romilly, marraine de notre première édition, et soutenir son combat pour faire entendre le rythme et les sons d’une langue qui ne deviendra jamais une langue morte pour n’avoir jamais cessé d’être un véhicule précieux de vie et de pensée.

Un défi, celui de placer un théâtre politique au centre même de la cité, sur une place que les travaux d’aménagement en cours vont rendre à sa destination d’agora et d’espace de rencontres et d’échanges : un quatorze juillet, en fin d’après-midi, il sera question de res publica et d’entendre les voix de ces orateurs disparus qui, tels Démosthène ou Cicéron, éveillèrent les consciences citoyennes et bataillèrent pour la sauvegarde du bien public.

Une nouveauté : l’accueil de deux auteurs qui furent d’abord spectateurs de ce festival de théâtre antique, puis intervenants lors du forum de l’an passé consacré à Œdipe et que l’exploration des œuvres et des mythes a conduits à leur tour sur les chemins d’un imaginaire titillé par les ressources d’un héritage inépuisable. Et autour d’eux et de la lecture théâtralisée de leurs propositions, d’autres livres, d’autres auteurs évocateurs de ces héros familiers de notre enfance, dont Philippe Brunet qui vient de publier au Seuil une remarquable traduction de L’Iliade saluée par la critique.

Et aussi une jeune compagnie dont la première réalisation consacrée à la relecture du mythe d’Ulysse par Simon Abkarian a déjà été primée plusieurs fois et qu’Ariane Mouchkine accueille au Théâtre du Soleil en mai dans le festival Premiers pas. Et encore deux spectacles qui tournent depuis longtemps et dont le succès ne se dément pas : une histoire du vin sous le haut patronage de Bacchus qu’il convient doublement d’honorer en Vaucluse, pays de vignes et de théâtre, et un conte pour tous, grands et petits, ressuscitant de mystérieux personnages au son d’une double flûte.

Enfin, des lieux d’accueil publics et privés à Vaison-la-Romaine et dans les villages alentour, dont de nombreux jardins, puisque la première expérience « hors les murs » de 2010 a recueilli l’approbation d’un public ravi de cette diversification.

 

Pénélope ô Pénélope, tragédie de Simon Abkarian, par la cie Le cri dévot

Pénélope ô Pénélope de Simon Abkarian a reçu le prix 2008 du meilleur spectacle en langue française du syndicat de la critique dramatique. Cette pièce est aujourd’hui présentée par la cie Le cri dévot, une jeune compagnie née à l’université de Montpellier et dont le spectacle a été sélectionné par le Théâtre du Soleil animé par Ariane Mouchkine pour le festival « Les premiers pas » de mai/juin 2011.

D’Homère à nos jours, ce qu’on choisit et ce qui s’impose, éloignement et retour, affrontement et tendresse, « voyage, voyage », en soi et hors de soi, le mythe s’incarne une fois encore et prend ici la forme d’une tragicomédie burlesque, poétique et cruelle.

« Dinah, couturière et femme au foyer, désespère depuis vingt de ne pas voir revenir son mari Elias. Un matin, la guerre recrache ce héros déchu, mais tout semble s’être échoué d’avance puisqu’Ante, le boucher de la ville, veut épouser de force Dinah. Si elle refuse, il tuera son fils Théos. Statufiée dans son propre corps, elle se sent prête à abandonner l’espoir de retrouver sa moitié en acceptant le chantage du boucher.

L’histoire pourrait se conclure facilement si Elias tuait Ante. Mais encore meurtri des cicatrices brûlantes de la guerre, il abandonne la voie du sang en empêchant la reproduction inévitable du cycle de la barbarie. Elias et Dinah vont incarner les tristes spectateurs de leur propre histoire, incapables d’agir pour changer le cours des choses, et piégés par des destins qui deviennent tout à coup trop grands pour eux. »

Aux armes citoyens ! Célébration de l’art oratoire antique, par la cie Hadrien 2000

Aux armes citoyens ! Célébration de l’art oratoire antique est un montage de textes réalisé par la cie Hadrien 2000 qui fait appel à ces grandes voix qui, à l’instar de celles de Démosthène ou Cicéron, ont su mobiliser leurs concitoyens pour soutenir et défendre quand les circonstances l’exigeaient ce que les latins nommaient Res Publica.

S’il est clair que ce modèle d’organisation sociale qu’on appelle démocratie s’est affirmé dans la cité athénienne du Vème siècle avant Jésus-Christ en impliquant les citoyens dans la prise en charge du destin de l’état, il s’est au cours des siècles enrichi de multiples variations témoignant d’une étonnante capacité d’adaptation aux évolutions des sociétés qui l’adoptaient. Il reste que le plus petit (ou le plus grand !) dénominateur commun des variantes observables est l’instauration d’une parole libre inscrite dans un débat public où les points de vue, les valeurs et les intérêts se confrontent et s’affrontent.

Que ce débat politique concernant la vie de la cité se déroule dans les lieux mêmes où se donne à voir et à entendre le dialogue des mots et des chants et des danses en l’honneur de Dionysos, que se pratique une similaire joute verbale où la violence se discipline et se canalise, n’est pas le moins étonnant ! Le théâtre et l’assemblée du peuple sont bien en effet les lieux et les temps par excellence de manifestation du lien social et de la possibilité d’un vivre ensemble dans l’expression même des antagonismes irréductibles.

En mêlant textes anciens et textes modernes ou contemporains leur faisant écho, les comédiens suivent un fil rouge qui tisse la dure nécessité de ne jamais cesser de se battre pour que la parole de l’adversaire ne cesse jamais d’être entendue.

Et comme sur l’agora d’Athènes ou au forum à Rome, c’est au cœur de la ville de Vaison-la-Romaine que la représentation sera suivie d’un débat citoyen sur ce qu’il appartient à tous aujourd’hui de soutenir et de défendre.

C’est la faute à Bacchus, théâtre burlesque par la cie Amédée Bricolo

La cie Amédée Bricolo, avec le soutien de la Scène Nationale d’Orléans, retrace une histoire du vin commencée il y a 7000 ans et nous fait voyager à travers les paysages et les terroirs où les vignerons ont domestiqué la lambrusque, mais aussi à travers les mots, de la Bible à Diderot, d’Euripide à Baudelaire, de Montaigne à Bachelard, de Rabelais à Barthes.

Pour vous le dieu du vin s’est fait clown-œnologue, et soûlés de rire vous n’ignorerez plus rien de ses secrets les plus savants…

« Ce spectacle n’est pas un spectacle de consommation courante. C’est un grand spectacle, atypique, mais complexe, intense, capiteux, un spectacle issu de vendanges tardives, d’une lente fermentation, d’un élevage patient et souterrain de plus d’un quart de siècle. C’est un spectacle à boire avec délectation. A boire double, peut-être. A voir sûrement. A voir se dédoubler le comédien et philosophe dans le jeu subtil d’ivresse et de sagesse.

Et avant tout, c’est un spectacle pour rire, pour se saouler de rire. Car Bricolo-Massas est un amateur de vin, et comme tous ses frères (on est frère de vin comme on est frère de sang), il flotte quelque part entre franc buveur et esthète, partagé entre le bavard et l’historien, déchiré entre l’épicurien et le savant, écartelé entre l’humain et le divin. C’est le prix d’une inextinguible soif de beauté, d’une inépuisable félicité sans cesse renouvelée qui prolonge l’impatience de boire du vin par le plaisir d’en boire et la joie d’en avoir bu par l’impatience d’en reboire à nouveau. » Bernard Prouteau

Un texte à consommer sans modération… mais sans oublier les réserves d’usage quant à l’abus du divin breuvage !

Antigone de Sophocle, tragédie par le théâtre Demodocos

Antigone de Sophocle ouvre ce festival Demodocos enchâssé dans la Semaine de Théâtre Antique. Pièce phare du répertoire de cette compagnie fondée et animée par Philippe Brunet, professeur de grec ancien à la faculté de Rouen, elle est l’objet d’une création continue depuis vingt ans et ce phénix immortel renaît régulièrement sous une apparence qui signe la métamorphose sans trahir son être-au-monde originel.

Alors que ce soit pour la première ou la vingtième fois ou plus encore, venez au rendez-vous que vous donne la jeune fille de Thèbes : vous savez qu’elle ne vous décevra pas. La confrontation entre l’adolescente rebelle à l’autorité « humaine, trop humaine » et l’homme de pouvoir qui se veut homme d’état semble à jamais inépuisable.

Travail sur la langue, travail sur les sons, travail sur les postures, travail sur les genres, travail sur les masques : le théâtre Demodocos explore les formes nouvelles qui sertiront au mieux les enjeux essentiels d’un affrontement radical.

Venue du monde grec, la petite Antigone s’est disséminée dans l’espace et dans le temps, icône et emblème de toute lutte pour l’affirmation d’un impératif prioritaire. Dans le conflit de valeurs qui oppose les règles du monde divin à celles du monde humain, elle confirme sans hésiter la suprématie du respect dû aux morts et elle accepte de payer le prix de la transgression de l’ordre qui régit le maintien de toute société. Antigone nous a chassés pour toujours du paradis des consciences apaisées.

L’Orestie d’Eschyle, trilogie par le théâtre Demodocos

L’Orestie d’Eschyle donnée par le Théâtre Demodocos vous propose en une seule soirée, mais avec une pause casse-croûte, les trois pièces de la seule trilogie qui nous soit parvenue : Agamemnon (2h), Les Choéphores (1h), Les Euménides (1h).

Vous vous souviendrez longtemps et de cet événement théâtral et de ce tragique retour de Troie qui fit advenir sur la terre grecque ce que nous appelons encore démocratie.

Agamemnon, le roi des rois, est rentré vainqueur de dix ans de guerre livrée contre les troyens pour venger l’honneur bafoué des grecs. Il est accueilli à Mycènes par son épouse Clytemnestre qui va lui faire payer très cher la mort de leur fille Iphigénie, sacrifiée autrefois pour obtenir les vents favorables au départ de la flotte achéenne. Avec la complicité de son amant Egisthe, elle assassine et son époux et Cassandre, la captive troyenne qui lui a été attribuée.

Mais le meurtre appelle le meurtre, le sang versé requiert vengeance et l’oracle de Delphes rappelle à Oreste son terrible devoir filial qui lui enjoint de tuer sa mère pour apaiser les mânes de son père, ce qu’il fait encouragé par sa sœur Electre. Dans les Choéphores, le fils matricide est poursuivi par les redoutables Erynies qui exigent le châtiment du criminel.

Enfin Oreste, victime des dieux et de la malédiction pesant sur la famille des Atrides, se présente devant le tribunal chargé d’apprécier sa responsabilité et sa culpabilité, un tribunal « civique » où les avis sont partagés et qui prononce son acquittement grâce à la voix de sa protectrice, la déesse Athéna. La justice relève désormais des affaires humaines et les Erynies font place aux Euménides, les bienveillantes.

L’Iliade d’Homère, épopée par le théâtre Demodocos

L’Iliade d’Homère : c’est au cours d’une promenade dans les jardins du château que les aèdes de Demodocos vous en feront entendre les accents déchirants et flamboyants dans la traduction de Philippe Brunet, récemment publiée par Le Seuil et unanimement saluée par la presse.

De la colère d’Achille, de la mort de Patrocle, des adieux d’Hector et d’Andromaque, de la supplication de Priam, vous avez gardé les images en mémoire. Les mots de cette épopée et la sonorité ponctuelle de la langue grecque, accordés à ceux de la lyre, vous les rendront plus prenantes encore.

Au cours de six haltes, les promeneurs se tiendront à l’écoute de certains chants de ce récit fabuleux narrant les exploits et les souffrances de ces héros lointains dont l’étrangeté apparente leur semblera soudain étonnamment familière. Et moi aussi je suis Achille, voilà peut-être ce qu’ils se surprendront à formuler à se ressouvenir de quelque rage impuissante ou de quelque poignant désespoir.

« Alors la noire nuée du chagrin voila ses paupières.
De l’une et l’autre paume, dans l’âtre, il prit de la cendre,
S’en versa sur la tête, souilla son noble visage.
Noire, la cendre tachait sa tunique nectaréenne.
Et roulant, s’étalant de tout son long dans la poudre,
Il s’arrachait les cheveux, et les souillait de ses paumes.
Les captives, butin remporté par Achille et Patrocle,
Accablées de douleur, poussaient de grands cris, par la porte
Accouraient auprès d’Achille vaillant, de leurs paumes
Se frappant la poitrine – chacune, brisée dans ses membres.
Antiloque, à côté, gémissait, versait force larmes,
Tenait les mains d’Achille pleurant en son âme farouche :
Il redoutait que du fer il ne se tranchât la gorge.
Il eut un cri terrible, entendu de sa mère vaillante,
Qui siège auprès de son père vieillard dans l’abîme de l’onde
. »

Le mystère des Alyscamps, conte musical par la cie L’arbre qui chante

Le mystère des Alyscamps, révélé au son de la flûte d’Edo Pols par la conteuse Sophie Joignant de la compagnie L’arbre qui chante, entraîne petits et grands à la rencontre de personnages échappés des livres d’histoire et de légende.

Loin des sarcophages qui furent leur dernière demeure, ils viennent témoigner de ce qu’ils ont vécu, appris et aimé. Ce passionnant conte musical a enchanté ses très nombreux publics.

Les Alyscamps, version provençale des Champs-Elysées, étaient dans la mythologie grecque un séjour réservé aux morts qui avaient mené une vie honorable et fait preuve de courage et de vertu.

Quand on se promène près d’Arles dans l’impressionnante allée des sarcophages et qu’on se laisse aller à la douceur d’un après-midi d’été finissant, on n’a aucun mal à imaginer les ombres s’en échappant pour nous conter l’ordinaire et l’extraordinaire de ce qui fut leur vie. Et il est fascinant de suivre les évocations de Sophie et d’Edo qui ont le pouvoir et le talent de ressusciter ces figures inconnues qu’ils nous rendent très proches.

Alors venez en famille découvrir ce très joli spectacle que vous aurez plaisir à commenter ensemble après avoir quitté le jardin de Ginou.

Et pour OUVRIR le festival, un premier rendez-vous presque confidentiel (50 places seulement, pour adultes et jeunes à partir de 12 ans),

…pour entendre « des histoires d’ânes », de L’Âne d’or d’Apulée à Peau d’âne de Charles Perrault, un récital poétique et musical de la cie Melocotone.

Les lectures & rencontres d’auteurs

Oreste

Fragments d’un essai romanesque de Michèle Gastambide, psychanalyste, qui trace le parcours initiatique d’un Oreste en quête de sa vérité.

Si Homère était une femme

Drame satyrique de Jacques Mervant, psychanalyste, qui imagine au terme d’une nouvelle Orestie une aventure ayant un parfum de femmes !

Regards croisés sur L’Iliade et ses héros

Points de vue d’auteurs, points de vue d’auditeurs.

 

Photos Antoine Abou