Cette année la Semaine se divise en 2 temps et s’installe en 4 lieux, aussi séduisants les uns que les autres. Pour répondre aux souhaits de tous ceux qui ne peuvent se rendre à Vaison avant la fin de l’année scolaire et de la période des examens, nous avons conçu deux programmes.

Intra Muros se tient le premier week-end de juillet au Théâtre du Nymphée, à l’Espace Culturel et au cinéma Le Florian. Il est consacré au thème d’Œdipe autour de spectacles, conférences, forum et table ronde. Il offre la possibilité de se restaurer sur place, occasion privilégiée d’échanges entre spectateurs, intervenants et comédiens. Fidèles du Théâtre du Nymphée, vous retrouverez avec plaisir ce lieu magique à 19h pour deux conférences et un spectacle, et pour la première fois deux spectacles donnés en nocturne à 22h.

Puis vous découvrirez avec Extra Muros l’accueil chaleureux du Château de Roaix et la beauté de ses jardins fleuris. Au Crestet, le Domaine de La Verrière et l’Esplanade du Château vous raviront par leur cadre exceptionnel.

Que le théâtre nous soit longtemps encore une fête joyeusement partagée !

 

Conférence « Œdipe, Roi et désarroi », par Emile Rogé

Neuropsychiatre et psychanalyste, le docteur Emile Rogé a contribué à la naissance de la psychiatrie moderne lorsqu’elle est devenue en 1969 spécialité à part entière, séparée de la neurologie. Il est à l’origine du grand projet de l’Ecole Française de Psychiatrie, lancé à Avignon en 1983, et fut l’un des présidents de la psychanalyse junguienne.

Homme d’ouverture, de grande culture, très investi dans la transmission d’une clinique vivante et remarquablement théorisée, c’est dans son exercice de praticien qu’il a surtout excellé, par sa grande et généreuse humanité, en recevant des patients souffrant de pathologies graves et affrontant des difficultés particulièrement ardues.

« Variations Antigone » – Comme enfant on joue à mourir

Eugène Durif, écrivain, dramaturge et comédien né en 1950 à Saint Priest, Rhône interroge les mythes qui hantent notre culture et notre imaginaire pour les faire habiter en poète notre aujourd’hui et notre intimité. « Un peu partout ces textes fragiles et insidieux laissent dans les mémoires des traces d’enfance, réveillent des émotions à peine formulées, traquent doucement nos histoires intimes à travers les sentiers mystérieux de la grande Histoire. » (Fabienne Pascaud/Télérama)

Ressuscitant Œdipe, l’aveugle boiteux, il publie en 2005 L’Enfant sans nom (Actes Sud-Papiers) dont Philippe Flahaut et la Cie Ephémère donnent une réalisation magistrale qui les incite à poursuivre une aventure commune avec Variations Antigone :

« Père, je marche encore à ton côté
Prends ma main, ô Père,
Je ferme les yeux,
Je suis tes yeux
Prends ma main, ô Père,
Tes yeux fermés
Je les ouvre
Je vois le grand jour
Où il faut que tu marches avec moi
Tenant dans ta main la mienne. »

Philippe Flahaut travaille avec des comédiens « différents », professionnels parmi les professionnels, totalement impliqués dans un théâtre de la cruauté ordinaire dont la bouleversante puissance vous poigne au cœur et aux tripes. Deux ans après avoir fait chavirer le public du théâtre du Nymphée, ils reviennent avec nous partager les folies et les souffrances d’une famille qui ne nous est pas étrangère, charriée somptueusement dans les méandres d’un langage poétique qui dit la vérité du monde et d’images scéniques qui s’incrusteront longtemps sous vos paupières.

Dans la fidélité à un choix de programmation qui mêle voix antiques et contemporaines, la Semaine de Théâtre Antique accueille le travail commun d’Eugène Durif et de Philippe Flahaut comme l’éclatante invite à l’écoute renouvelée de ce que nous dit une aussi vieille histoire.

Antigone magnifiée par son incomparable interprète assume entre cris et révoltes le portage du passé et le dur et lumineux devoir d’aller, comme Œdipe, « sur la route ».

Pour en savoir plus sur le spectacle, consultez le dossier élaboré par la Cie Ephémère.

Forum « Œdipe en question »

En ces temps de vive polémique sur un héritage conflictuel, avançons sereinement sur quelques chemins de réflexion ouverts à tous ceux pour qui Œdipe questionne toujours notre humaine condition.

Eve Cornet, psychologue et psychanalyste : Du « bon » usage du mythe et du concept
Si le mythe offre un point d’ancrage culturel pour se repérer et être repéré, de l’histoire d’Œdipe au concept du « complexe d’Œdipe », il y a un vide, un vide créateur où le Sujet peut advenir.

Arlette Raibaud Benfrech, psychanalyste, membre de la fédération freudienne de psychanalyse : Enigme de la filiation
Inscrit dans la différence des sexes et celle des générations, l’homme interroge : de qui est-il le fils ? Et de quels meurtres symboliques, son histoire est-elle faite ?

Jacques Mervant, psychanalyste : Œdipe, figure de l’irréalisable
Symbole des apories du désir humain, Œdipe n’est que la figure de l’irréalisable, qui vaut pour les deux sexes. L’interdit de l’inceste sépare autant qu’il relie : en rompant le lien avec sa mère, la voix du tiers fait accéder l’enfant au langage et au lien social.

Mireille Chastel, psychanalyste : Quand l’Œdipe s’en mêle
Cette communication présente deux cas d’enfant dont l’itinéraire psychique s’embrouille au cœur d’une dynamique relationnelle perturbée. Une lecture oedipienne de manifestations phobiques et d’identifications défaillantes permet-elle la compréhension des symptômes observés ?

Conférence « L’Œdipe de Freud ? Pas assez complexe … », par Alain Didier-Weill

Psychiatre et psychanalyste, Alain Didier-Weill est membre de l’Ecole freudienne de Paris. Conférencier au séminaire de Jacques Lacan, cofondateur de plusieurs associations de psychanalyse dont Insistance, il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages parmi lesquels « Les trois temps de la loi », prix Œdipe 1997, Seuil 1996.

Il est également dramaturge et sa pièce Vienne 1913, jouée en janvier 2010 à Paris au Théâtre du Lierre, après le festival d’Avignon 2007 au Théâtre des Halles, confronte le parcours de Freud à celui d’un certain Adolf en devenir. Explorant les processus de la création artistique, il vient de publier chez Aubier Flammarion « Un mystère plus lointain que l’inconscient ».

NB Ce même samedi à 16h, Alain Didier-Weill dédicacera ses ouvrages à la librairie Monfort, 34 Grand Rue, à Vaison-la-Romaine.

Œdipe Tyran

Avec Antigone, l’Œdipe Roi de Sophocle ici appelé Tyran, vocable proche du mot grec, est une de ces œuvres phare reçues en héritage d’un lointain monde athénien qui ne cessent d’appeler relectures et éclairages multiples. L’histoire tragique de la lignée des Labdacides nous informe sur ces généalogies où le poids des fautes enkystées dans la succession des générations et leurs mémoires rend l’innocence encore plus impensée qu’impossible. Coupable d’être né certes et surtout d’être né fils de, l’homme, boiteux de naissance, constate que toute rébellion s’épuise en vaines lamentations et dérisoires invectives contre la malveillance des dieux.

Pire encore, tuer le père ne suffit pas à se délivrer des origines pas plus que retourner au ventre primitif n’autorise à repartir à zéro. Rien ne s’efface jamais ni les crimes des ancêtres ni les siens propres qu’il faut bien apprendre à reconnaître et, comme on dit aujourd’hui, à « gérer », demi-sourire sceptique à l’appui. Diable, que peut-il bien gérer Œdipe de son malheur et de celui de ses proches, témoin forcé et impuissant d’un désastre auquel il a concouru aveuglément bien avant d’avoir blessé ses yeux de chair ? Complice de ses pulsions agressives dont Créon et Tirésias font les frais, tyrannisé par un fol désir de ne tenir sa royauté que de lui-même et de ses œuvres jetant la sphinge hors les murs et la reine dans son lit, il n’est pas plus maître de lui que de l’univers. Accusé levez-vous, c’est votre procès (et donc le nôtre) que nous instruisons et il faudra attendre que vous quittiez le palais sans volonté de retour pour que nous éprouvions quelque chose qui pourrait ressembler à de la pitié …

Délibérément inscrit dans la modernité et son actualité, Eric Ferrand met en scène un homme de pouvoir confronté à ses démons et aux insoutenables défis que ne cessent de lui lancer ces vassaux et ce peuple de gouvernés qu’il peine à contrôler dès que l’ère du soupçon s’est emparé d’eux. Celui-là, habitué à susciter crainte et tremblement autant que flagorneries et dévotions, se découvre plus seul que seul dès lors que, pour le ménager et se protéger, la très maternante Jocaste tente de les dérober, lui et elle, à l’irrésistible lucidité qui les fera se savoir nus et impuissants.

D’impostures en manipulations, un roi à la royauté illusoire et bientôt sans royaume, se prend autant qu’il est pris aux multiples pièges d’une gouvernance introuvable où les lumières de la ville et des palais le font se cogner comme l’insecte à l’ampoule : la scénographie limpide avec ses couleurs et ses sons révèle et les mirages et les engluements. Usant sans les travestir des codes fondateurs du théâtre antique, Eric Ferrand et la compagnie de L’Oreille Interne nous restituent la force d’un double débat, celui qui se joue sur l’agora, la scène publique, et celui qui se noue dans l’intimité de la sphère privée, se nourrissant l’un l’autre en d’étranges noces incestueuses.

Pour en savoir plus sur le spectacle, consultez le dossier élaboré par la Cie L’Oreille Interne.

Œdipe, de Voltaire

Eh oui, qui le sait ou même qui le croit ? Un Voltaire dramaturge -passionné découvreur du théâtre shakespearien avant d’en devenir un critique assassin- à qui la gloire des contes et des textes engagés a fait définitivement ombrage dans notre mémoire a taillé de sa plume un Œdipe qui sollicite à juste titre notre attention.

Créée en 1718 au Palais-Royal, la première tragédie d’un jeune homme de 24 ans nommé François-Marie Arouet n’a plus été rejouée depuis 1852. Signée d’un pseudonyme, Voltaire, elle connait un succès immédiat qui offre à son auteur la reconnaissance que, fils illégitime, il n’avait pas obtenu de son père. Si la pièce construite avec un sens de l’intrigue policière maintient le suspense jusqu’au bout alors même que l’histoire est connue du public, elle emporte émotionnellement les spectateurs par sa fougue, sa véhémence et la puissance de ses convictions.

« Impitoyables dieux, mes crimes sont les vôtres,
Et vous m’en punissez !…

C’est à la demande de la ville de Ferney que Jean-Claude Seguin relit les pièces de Voltaire avant de porter son choix sur cet Œdipe dont l’écriture sous tension continue l’a convaincu de l’efficacité dramaturgique. Il constitue alors son équipe avec une attention minutieuse pour mener à bien avec elle une aventure théâtrale exigeante, consciente des défis à relever dont le moindre n’est pas d’user de l’alexandrin comme d’un très actuel mode d’expression !

Car il ne s’agit pas d’exhumer de la poussière des bibliothèques un document de seul intérêt historique ou archéologique destiné à satisfaire la curiosité savante mais bien de toucher un public prêt à vibrer au déroulement d’une action mouvementée où le rythme n’exclut ni la réflexion ni l’émotion.

Et c’est peu de dire que le succès a couronné l’entreprise puisque l’enthousiasme était au rendez-vous des représentations de Ferney comme il le sera en Avignon où la qualité des précédentes réalisations du Théâtre du Loup Blanc (Rodogune et La Palatine) a convaincu tant la critique que le public. Celui venu au Nymphée assister à une éblouissante Rodogune de Corneille peut témoigner de l’excellence du travail accompli par Jean-Claude Seguin et Marie Grundzinski, les pilotes de cette compagnie au service d’un théâtre tel que Jean Vilar le promouvait.

Pour en savoir plus sur le spectacle, consultez le dossier élaboré par la Cie du Théâtre du Loup Blanc.

Table ronde « Jocaste »

Analystes, metteurs en scène et interprètes partageront avec le public leurs interrogations sur cette mère/épouse énigmatique, cachée et révélée sous l’ombre portée du fils/époux.

 

A Roaix

Au château de Roaix, la compagnie Mélocotone crée deux spectacles dont l’un a été conçu sur mesure pour les jardins du château. Il s’agit de la découverte au cours d’un parcours promenade initiatique d’un ouvrage qui a enthousiasmé les cours européennes au 16ème siècle. A une époque où l’Antiquité était revisitée et magnifiée par écrivains, poètes, artistes et savants, le Songe de Poliphile, de Francesco Colonna, imprégné d’art et de philosophie, a durablement impressionné princes et amateurs cultivés. Le jeudi 15 juillet à 19h00, en nombre limité, le public, organisé en 6 groupes, se promènera dans les jardins fleuris et, au cours de haltes choisies, entendra le récit des amours de Poliphile et de Polia, autres Roméo et Juliette.

Le mardi 20 juillet à 19h00 toujours, c’est un conte célèbre qui sera proposé, dans la langue versifiée du 17ème siècle, aux spectateurs adultes (et jeunes avertis), Peau d’Ane, de Charles Perrault. Le récit sera accompagné au violoncelle par un instrumentiste de réputation internationale, Walter Grimmer.
En préambule du conte, avec Histoire d’ânes ou l’impromptu de Roaix, le public découvrira le pourquoi de la programmation de cette œuvre dans un festival de théâtre antique, puisqu’il y sera question de la présence singulière de l’âne dans la série des métamorphoses narrées depuis l’antiquité.

Au Crestet

Au-delà du village perché du Crestet, le Domaine de la Verrière, situé dans la prolongation de la route desservant le Centre d’Art aujourd’hui abandonné, jouit d’un splendide emplacement au sein des collines qui l’enserrent. Le samedi 17 juillet à 19h00, c’est dans la cour intérieure des bâtiments qui abritent la cave viticole que sera donné Les Troyennes d’Euripide, spectacle conçu par la compagnie Hadrien 2000, très favorablement accueilli par le public et programmé notamment le 13 juin à la Villa Kerylos de Beaulieu sur Mer. Une fois encore retentiront les plaintes et gémissements des femmes emmenées en esclavage par les grecs victorieux. Alors que Troie s’abime dans les flammes, le chant douloureux de ces femmes lui assure à jamais une gloire éternelle.

C’est enfin au cœur du village, sur l’esplanade du château, que le jeudi 22 juillet à 19h00 s’exprimera par la bouche d’un aède d’aujourd’hui, avec le Théâtre du Lac et les mots de Philippe Jaccottet, le récit d’épisodes illustres de L’Odyssée d’Homère. Il y sera question de l’outrage fait au Cyclope et du malheur des compagnons d’Ulysse métamorphosés en pourceaux par la magicienne Circé, et cela au son d’une musique fabuleusement interprétée.

 

Photos Antoine Abou & MCS Production