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Episode 1 : Perspectives d’Anri Sala
Sur les traces de Piero della Francesca, désorientation des perspectives
Anri Sala a exposé dans galerie Chantal Crousel du 2 septembre au 7 octobre 2023 une série de fresques empruntant la technique traditionnelle de la Renaissance dite al fresco qui fige les couleurs posées par le peintre quand le support au terme d’une journée de travail devient sec. Il fait sienne cette technique en insérant dans ce matériau des morceaux de marbre qui rappellent les fragments de fresques anciennes abimées par le travail du temps. Il use enfin de cette technique et de ce matériau transformé pour emprunter à Piero della Francesca des fragments de la Légende de la Vraie Croix peints dans la chapelle Bacci de la basilique San Francesco d’Arezzo en inversant la vision de référence par le recours au procédé photographique qui révèle le négatif, ses couleurs et ses lumières. Ce travail pictural qui bouscule les données spatiales et temporelles donne à voir et à comprendre en même temps une lecture nouvelle du récit conté dans un fragment dont la concrétion géologique sédimente l’agrégation de l’hier et de l’aujourd’hui et impose sa puissance et sa beauté au regard du visiteur fasciné.





Episode 2 : « Perspective(s) » de Laurent Binet
Dans un thriller excitant qui met en scène la Florence de Cosimo de Médicis en l’an 1557, plongez avec l’auteur dans les méandres d’une affaire criminelle agitant les passions de toutes natures révélées par la découverte stupéfiante et bienvenue de courriers échangés entre les protagonistes de l’affaire à la suite du meurtre du peintre officiel de la cité, Pontormo.
Vous êtes invités à lire deux extraits correspondant à un échange entre Giorgo Vasari – proche collaborateur du duc Cosimo et bon connaisseur de la scène artistique qu’il commente dans ses Vies des peintres – et Michel-Ange Buonarroti qui s’acquitte à Rome de la charge pesante de mener à terme la construction de la basilique Saint Pierre. Tous deux prennent la mesure des changements politiques et sociétaux qui affectent la réception des œuvres et conduisent Pontormo au désespoir d’un manque de reconnaissance lui faisant envisager de détruire le travail de dix années sur les fresques du chœur de la chapelle San Lorenzo. Au cœur de cet échange l’évolution des goûts et la remise en cause de l’usage de la perspective…





Il est plaisant d’admirer avec Paul Veyne dans son Musée imaginaire de l’art italien ces artistes qu’il nomme « Irréguliers ou Maniéristes » et qui s’écartent des règles du classicisme institué pour imposer une esthétique « déréalisante » s’affranchissant des règles de la perspective. Il retient deux œuvres de Pontormo – une Descente de croix et une Visitation – qui se juxtaposent dans le livre et nous apparaissent dissemblables dans leur composition et leurs coloris. Les deux sont intrigantes et fascinantes par leur étrangeté. L’agrandissement de La Visitation permet de voir sur la gauche du tableau le non respect des proportions qui laisse toute la place au groupe des 4 figures et si, après avoir regardé avec attention cette superbe composition d’ensemble, on agrandit le seul rectangle des visages, on est saisi de l’audace de la confrontation des regards : face à face des cousines // fixité des yeux axés sur un lointain encore indiscernable et déjà là. Serait-il possible que ce dédoublement des images révèle l’identité commune des personnes, que les témoins se confondent avec Marie et Elizabeth, exprimant leur prescience intuitive d’un à venir encore informulable ?