1 – La vierge du chancelier Rolin – Van Eyck

2 – La Montagne Sainte-Victoire – Cézanne

C’était un vaste paysage où se bombait un imposant massif au milieu d’une atmosphère méditerranéenne. Le tableau distribuait, depuis une terrasse qui servait de point de vue, un premier plan fait de pins, puis des terres et enfin la chaîne de montagnes qui semblait surgir du sol sous le ciel translucide. Partout la touche était dynamique, apparentait les zones de couleur à des mèches ocre, vertes ou bleues et était d’une savoureuse clarté. Nulle ombre au tableau, aurait—on pu dire, car chacun des reliefs, des escarpements destinés à faire sentir les volumes était d’une palette délicieusement tiède. A gauche de la composition, juste derrière le rebord de la terrasse qui faisait l’effet d’un promontoire, s’élevait un grand pin parmi un fouillis d’arbres, tous traités d’une touche montante, dans des gammes de verts, mais aussi de bleus. Ce fouillis touffu se répétait à droite mais, au lieu d’être dominé par l’élan d’un grand tronc, cette partie était marquée par la présence au loin, entre la montagne et les prés, d’un aqueduc aux douze arches. Le centre du tableau était dégagé, s’ouvrait sur une sorte de parterre rural – et même agricole, car l’activité humaine s’y faisait imperceptiblement sentir – dont les pâturages et les champs étaient découpés assez géométriquement. Abondaient les coups de pinceau horizontaux, les suggestions anguleuses et géométrique pour les maisons. Aux teintes de l’herbe se mêlaient des accents chromatiques de jaune et parfois légèrement plus rougeoyants afin d’esquisser deux toits fondus dans l’environnement. Enfin, il y avait le massif dont la crête allait délicatement crescendo depuis la gauche du tableau jusqu’à un sommet qui s’étalait en une espèce de petit tableau avant de tomber de manière abrupte, de former un creux puis de s’écouler lentement hors cadre, vers l’infini de la Provence.
Thomas Schlesser – Les Yeux de Mona – Albin Michel

3 – Le « contrat » passé entre Henry le grand-père et Mona sa petite fille

– Mona, chaque semaine, nous irons tous les deux voir une œuvre – une seule œuvre, pas plus – au musée. Ces gens autour de nous aimeraient tout avaler d’un coup, et ils se perdent sans savoir comment ménager leurs envies. Nous serons beaucoup plus sages, beaucoup plus raisonnables. Nous regarderons une seule œuvre, d’abord sans dire un mot, pendant de longues minutes, et puis, ensuite, nous en parlerons.
Thomas Schlesser – Les Yeux de Mona – Albin Michel

4 – Itinéraire de Fabienne Verdier par elle-même, extrait de « Sur le motif » ,entretien entre Alain Rey et Fabienne Verdier ed Galerie Lelong & Co

Fabienne Verdier – Ce qui nous a rapproché aussi, Alain, c’est la pensée analogique, j’aime cette forme de ricochet de la pensée !
Alain Rey – Vous n’avez cessé de rechercher des analogies entre les sons, les formes, les couleurs, les matières, rejoignant une intuition poétique qui est de tout temps et qui, je trouve, a été exprimée de la matière la plus économique et la plus puissante par Baudelaire dans le sonnet des Correspondances. Il écrit – l’emploi des mots est très important dans ses poèmes – que « les couleurs et les sons se répondent » ; il ne dit pas qu’ils sont analogues, semblables ou pareils, mais qu’ils se répondent : chacun est un signe de l’un envoyé à l’autre, et l’autre est signe de l’un. C’est une sorte de dialogue interne entre les forces naturelles, qui est traduit par l’espèce humaine, parce que nous avons un système auditif et un système visuel.