A vous la plume – ou le clavier, pour nous raconter vos rencontres marquantes, drôles, modestes, chatoyantes, stimulantes… Adressez-nous par mel vos témoignages, nous les mettrons en ligne ci-après.

 

L’homme d’argile du Rabbi Löw

Toutes les nuits de brume sur Prague, deux soldats claudicants, baïonnette au canon conduisent Josef Chveik depuis les hauteurs de Hradcany vers la Vieille Ville en empruntant le Pont Charles, chaque nuit, éclairés par la lune, deux messieurs gras et luisants, deux mannequins échappés d’un musée de cire, deux automates en redingote et haut de forme franchissent en sens inverse le même pont pour accompagner au supplice Josef K. jusqu’à la carrière de Strahov.

Tous les trente trois ans, dans les ruelles du Josefos, le quartier juif, « un homme totalement inconnu, imberbe, le visage jaunâtre et de type mongol, se dirige vers le Rue de la Vieille Ecole d’un pas égal, curieusement trébuchant, comme s’il allait tomber en avant d’un instant à l’autre, puis soudain disparaît ». Ce personnage étrange et inquiétant est le Golem, homme d’argile que l’on pouvait doter momentanément de vie, créer à partir du sable de la Moldau par Rabbi Löw. Ce mythe praguois créé par Yudi Rosenberg en 1909, en y incluant toutes les anecdotes qui circulaient sur le créature magique dans le ghetto de Prague, repris par Gustav Meyrink en 1915 est devenu LE mythe de toute une ville, cette Praga Magica comme l’appelle Angelo Ripellino. Prague, ville elle même mythique, mère du brave soldat Chveik, de Josef K., de K. l’arpenteur, de Faust qui ne pouvait choisir meilleur décor que celui de la Prague de Rodolphe, paradis des mages et des nécromanciens.

La lecture passionnée de Kafka, il y a bien des années, m’a mené à Prague, à la découverte des innombrables personnages qui font de cette ville un mythe plus qu’une ville. Le Golem, être de sable devenu chair, qui sort et retourne à l’oubli quand sa tâche est finie, m’a toujours paru le meilleur symbole de cette ville fascinante.
H.M.

 

Samson

A sept ou huit ans, on dévore tout livre qui vous tombe sous la main, du moins c’était mon cas. C’est ainsi que je me lançai dans la lecture d’une Histoire Sainte trouvée au fond d’un vieux carton de livres scolaires datant du début du siècle dernier. Me voici donc revivant les sept jours de la Genèse, rencontrant Adam, Eve et leur serpent dont je ne comprenais pas très bien le rôle, l’horrible Caïn et le doux Abel, écoutant sonner les Trompettes de Jéricho, et j’en passe. Que d’aventures passionnantes.

Mais l’épisode qui m’impressionna le plus fut celui qui concernait Samson. La mode n’était pas encore à Superman et cet homme doué d’une force extraordinaire m’étonnait beaucoup. Et plus encore me stupéfiait le fait que sa force soit proportionnelle à la longueur de ses cheveux; J’avais moi aussi de très longues tresses à cette époque, et je savais bien que cela n’avait aucune influence sur mes capacités physiques. Enfin, j’admettais et j’admirais.

Mais, ce qui me plaisait moins, c’est le rôle que l’on attribue à Dalila dans l’histoire. Et ce n’était pas la première fois, dans ce livre, que la femme faisait le malheur de l’homme. Le sentiment de ma propre féminité me fit entrevoir que l’auteur de ce livre (qui était-ce, au fait ? il ne disait pas son nom) ne devait pas apprécier beaucoup les femmes, puisqu’il les rendait coupables de tous les maux.
C’est ainsi que je découvris la misogynie.
A.M.

 

L’ignoble Créon

Animant des ateliers théâtre pour les jeunes, j’ai maintes fois travaillé avec eux Antigone, la pièce de Sophocle, et celle d’Anouilh. S’il n’est jamais facile pour les garçons d’interpréter les personnages féminins, Antigone ou Ismène, malgré la caution des règles du théâtre antique, il est encore plus difficile, pour les garçons comme pour les filles, de voir en Créon un personnage qui ne soit pas veule et monstrueux.

Héritier par défaut d’un pouvoir qu’il ne briguait pas, imbu des responsabilités de sa fonction, conduit par engrenages successifs à succomber à « l’ubris », Créon fait néanmoins entendre le langage de l’homme d’état et je ne veux pas que les collégiens et lycéens le réduisent à sa caricature. Ni plaidoyer ni réhabilitation de cette figure tragique, « humaine, trop humaine », le jeu scénique doit en préserver la grandeur fourvoyée. Rude négociation avec l’intransigeance juvénile !
A.B.B.

 

Héraclès

Héraclès est incontestablement mon personnage mythologique préféré. Sa force et sa puissance physiques sont littéralement fascinantes à mes yeux. J’ai rencontré le héros grec à plusieurs reprises, au cinéma bien sûr, où il intervient de manière à peine déguisée dans bon nombre de productions, dans des romans, des bandes dessinées, des jeux video, mais aussi dans la vraie vie, et c’est à chaque fois pour moi la même émotion. Cet ancien bagnard repenti soulevant une lourde charrette affaissée sur son essieu, ce serviteur dévoué affrontant à mains nues un taureau dans l’arène pour sauver sa maîtresse condamnée par les Romains, ou encore, puisqu’on en parle, ce tailleur de menhir breton grand amateur de Romains lui aussi…

Au-delà de cette aptitude à d’extraordinaires performances physiques, il y a chez toutes ces incarnations du même personnage archétypique, Héraclès, une détermination sans faille et un courage inébranlable. Un instinct de l’action et une promptitude au mouvement. Je n’ai que très récemment perçu qu’il s’agissait là des caractéristiques essentielles du sentiment amoureux. Métaphoriquement parlant, c’est l’Amour, dans son intransigeance, son exclusivité, son exigence et sa toute puissance, qu’Héraclès nous donne à contempler…
F.B.