La mise à mort des enfants de Jason aurait-elle le pouvoir d’abolir et de réparer celle du frère démembré, sacrifié par Médée pour protéger la fuite des amants voleurs de la Toison d’or ? Vertigineuse question entendue par Paul Dusapin dans Médée Materiau d’Heiner Müller et posée par lui dans Medea, deuxième œuvre de la tétralogie consacrée à la magicienne de Colchide par le Théâtre des Champs-Elysées.
Pour accomplir son geste sacrificatoire, cette Médée s’oblige à ne plus voir en ses enfants que ceux de l’autre, des traîtres qui préfèrent, à leur mère trahie, leur père et sa putain et la vie aisée auprès d’eux. Alors peut s’établir la balance des comptes : en versant le sang pour le sang, Médée défait ce qu’elle a fait pour Jason. Ainsi automutilée – un(e) autre Œdipe ? – son fol et si ferme aveuglement la fait entrer et « demeurer dans le vide ».
Résonne en nous pour longtemps, à cause de ce vide sans doute, le son étonnamment prolongé de la pédale de l’orgue positif qui ouvre l’accès à cet opéra magnétique et aux éclats d’une Médée écartelée aux extrêmes de l’aigu et du grave et, son tour, démembrée en voix échos de son infinie douleur.