Palladium

Adaptation théâtrale de la bande dessinée Tuer César – Série Roma de Annabel, Eric Adam, Pierre Boisserie, Gilles Chaillet et Didier Convard © 2016 Glénat Editions

Comment passer de la bande dessinée au théâtre, des codes de l’image et des paroles en bulles à ceux des corps en mouvement et des bouches proférantes sur un plateau de scène, telle est la question quasi « transgenre » que s’est posée la Cie Hadrien 2000 en imaginant relever ce défi au piquant provocateur ?

Il fallait pour cela que l’envie de s’y confronter fut forte et elle le fut celle qui naquit un jour d’émerveillement à contempler dans le petit amphithéâtre du musée Théo Desplans la prodigieuse carte des monuments de Rome établie par le dessinateur Gilles Chaillet qui l’offrit à Vaison-la-Romaine alors qu’il était l’invité de BDAOC, ce joyeux et fraternel festival vaisonnais de bandes dessinées.

Mais Gilles Chaillet était aussi un scénariste de grand talent et nul ne pouvait s’étonner que ce fou passionné d’histoire antique conçoive un jour une ambitieuse série consacrée aux principaux épisodes du devenir de l’Urbs, la Ville éternelle, qu’il relia en tissant avec la grande Histoire le fil rouge d’une sulfureuse fiction romanesque, miroir en trompe-l’œil du vrai de vivre romain.

Et si forts étaient la vision et le désir de Gilles Chaillet qu’ils inspirèrent par delà sa mort la volonté de mener le projet à son terme que prirent en charge épisode par épisode sa tribu de proches et amis dessinateurs, coloristes et scénaristes, et son éditeur Glénat, sous la houlette attentive et bienveillante de Chantal Chaillet, son épouse et coloriste. Ce sont tous ceux-là qui prirent le risque de nous accorder généreusement pour notre festival les droits d’adaptation et de représentation de Roma 3, dédié à Caius Julius César.

Alors sans autre choix que celui de nous soumettre aux contraintes d’un arte povera, nous avons découpé l’album en 20 tableaux, respecté le texte à la lettre en nous autorisant la censure de quelques paroles « inconvenantes » pour un public que nous souhaitons familial, et jeté sur le plateau 20 intervenants anxieux de vous poser la question : Esprit de la bd, es-tu là ?

De natura rerum, de Lucrèce

Mots et musique, extraits et piano

Telle est l’appellation usuelle du grand poème symphonique inachevé, composé à la gloire de la nature par Lucrèce, Titus Lucretius Carus, auteur latin du premier siècle avant Jésus-Christ, appellation qui s’est progressivement substituée à celle d’origine De rerum natura, traduite par De la nature ou De la nature des choses.

Cette œuvre d’une vie restitue, en la colorant de sa sensibilité propre, la pensée d’Epicure, philosophe grec du IIIème siècle av.J.C, dont peu de textes nous sont parvenus et qui fut l’initiateur d’une des plus importantes écoles philosophiques de l’Antiquité rattachée à son nom, l’épicurisme.

Rédigée en hexamètres dactyliques et composée de 7415 vers en six livres, ce traité scientifique, « écrit dans la langue des muses » pour ne pas rebuter le lecteur craintif, décrit les atomes et le vide, constituants essentiels de la nature, à partir desquels toute la matière est engendrée puis se décompose, sans aucune intervention des dieux. Sur cette connaissance du monde réel se forge une vision de l’homme assumant un matérialisme radical qui lui permet d’échapper aux angoisses suscitées par les religions en se délivrant des peurs irrationnelles.

Cette œuvre au souffle prodigieux dont la liberté de penser fit peur à ses contemporains, soumis aux prescriptions politiques et religieuses et redoutant la colère des pouvoirs offensés, fut méconnue pendant quelques siècles car peu reproduite. Mais sa réputation prestigieuse, confirmée par la transmission de références dont celles au IIIème siècle après J.C de Diogène Laerce dans Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, empêcha son occultation et, à la faveur d’une copie retrouvée dans un monastère au XVème siècle, connut dès lors une large diffusion et influença en France des auteurs tels que Montaigne, Molière et La Fontaine.

Ce sont des extraits de ce De rerum natura, qui seront proposés à votre écoute dans la traduction et avec Guillaume Boussard, accompagnés au piano par Emmanuel Lascoux.

La Folle Journée du Théâtre Démodocos – 1er moment : Antigone, de Sophocle

Qui ne la connait ou du moins n’a jamais entendu parler de la « petite peste » nommée par Jean Anouilh ? Méritent-elles toutes ce qualificatif les multiples Antigones qui se sont succédées depuis vingt cinq siècles sur la scène littéraire, ni tout à fait semblables ni tout à fait autres que leur aînée ? Il se peut bien que cette gamine insolente et butée apparue pour la première fois sur un plateau au Vème siècle avant Jésus-Christ ait en effet apporté la peste, une peste autre que celle qui chassa son malheureux père Œdipe de son trône et de Thèbes et le contraignit à se crever les yeux.

Elle garde les yeux ouverts la petite Antigone et s’oppose à jamais à ceux qui les ferment pour survivre et n’ont d’autre choix que de la mettre à mort pour faire taire celle qui voit et qui dit que le roi est nu. En confirmant qu’elle savait l’interdiction et qu’elle a bien répandu la poussière sur le cadavre de son frère, elle dévoile la nature conventionnelle de tout pouvoir et pose la légitimité d’un ordre supérieur à celui qui régit la conservation de la société en ce qu’il fonde et garantit l’humanité de l’homme. La peste en effet depuis 25 siècles, depuis ce geste et cette parole, à jamais effaçables, à jamais inoubliables, quand bien même ils ne cessent d’être bafoués.

Aussi est-ce la première des Antigones, celle de Sophocle, en sa pureté première que le Théâtre Démodocos donnera à voir et à entendre, peu après le lever du soleil, sur le site de Puymin, alors que l’aurore aux doigts de rose vient à peine de laisser la place à la montée du jour. Une heure juste et exigeante pour retrouver la mémoire de cet affrontement continument renouvelé et à renouveler pour que ce modèle d’organisation politique et sociale qui a régi la cité grecque, prémisse de nos démocraties, ne s’abîme pas dans l’oubli ou la négligence de ce qu’il doit à l’humanité.

Cette nouvelle Antigone du Théâtre Démodocos, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre que les précédentes mises en scène par Philippe Brunet, sera donc jouée selon les codes antiques, sous les masques et avec les gestuelles animés par les seuls comédiens masculins pour nous dire où est le vrai de vivre.

La Folle Journée du Théâtre Démodocos – 2ème moment : Les Bacchantes, d’Euripide

Les fidèles suivantes de Dionysos-Bacchos reviennent à Vaison-la-Romaine mais au Théâtre du Nymphée dans une version évolutive du spectacle vu au Théâtre Antique dont nombre de spectateurs nous parlent encore aujourd’hui avec émotion. Elles reviennent pour fasciner le public de leurs imprécations, de leurs plaintes, de leurs chants et de leurs danses.

Qu’y-a-t-il donc au cœur de cette tragédie d’Euripide dont le personnage principal est un chœur de femmes bouleversées par l’appel du dieu pour intriguer et séduire ainsi nos contemporains ? Que nous veut donc ce fils de Zeus l’immortel et de la mortelle Sémélé, ce dieu dont le nom dit qu’il est né deux fois et qu’il est le Zeus de Nysa, mont de la sauvage Thrace ? Quelle est cette blessure infectée qui exige cruelle réparation de l’offense à lui faite par ceux qui moquent sa « bâtardise » et récusent sa divinité ?

Il est, Dionysos, le chantre des énergies et des passions vitales, du désordre créateur et de l’ivresse offerte aux hommes par le don de la vigne et du vin, il est « l’insupportable » des sociétés organisées qui se défendent de ses perturbations sous la bannière d’Apollon, son image inversée toute en lumière et céleste harmonie. Il est le dieu des « bas-fonds » et des forces obscures qui se rappelle à la mémoire des hommes tentés d’oublier la place qui lui est due – accueil, nécessaire à la continuité de la vie, du désordre au sein même de l’ordre – et le rôle qu’il doit tenir – expression de l’animalité de l’être humain, part de sa divinité.

Alors, oui, il engage dans son joyeux et terrifiant cortège, à côté de Silène et de Pan et de leurs compères cornus, les Satyres, ces femmes folles du désir de lui qui en proie à la transe sacrée s’abandonnent à l’ubris, la démesure redoutée qui menace l’humanité de l’homme et elles cessent ce faisant de savoir ce qu’elles font. Mais, avertissement entendu, il demeure à jamais Dionysos en l’honneur de qui et en célébration de son culte est apparue, il y a vingt-cinq siècles, la re-présentation distancée de ces désordres et de ces passions que nous appelons depuis « théâtre ».

Effrayantes sorcières

Conte initiatique d’après Apollodore et Ovide : de quoi est-il juste et bon d’avoir peur ?

Les trois contes programmés dans cette dix-huitième édition de la Semaine de Théâtre Antique offrent une même formule, celle d’un récit théâtralisé que suit une analyse collective des significations perçues et partagées, facteur d’appropriation du conte et source d’émergence de son développement. Ce choix repose sur la conviction que tout récit mythique recèle un parcours initiatique où le monde et l’homme se révèlent à eux-mêmes par la grâce de la fable et du merveilleux et qu’il accorde à chacun l’opportunité d’en être à son tour le porteur et le messager.

Ainsi allons-nous écouter et déchiffrer ensemble Effrayantes sorcières. Travaillée en deux versions, lecture théâtralisée ou contée, cette prolongation imaginée d’une légende puisée chez des auteurs grecs et latins qui n’y consacrent que quelques lignes, souvent divergentes comme il est fréquent dans les récits mythiques, surfe sur les vagues d’une temporalité piquetée d’éternité. La mythologie gréco-romaine abonde de figures monstrueuses qui fascinent autant qu’elles effraient et celles-ci intriguent tant par leurs caractéristiques physiques surprenantes que par leur destinée chahutée.

Le récit proposé d’un devenir possible de ces divinités secondaires fondé sur les interrogations laissées en creux par les textes anciens est nourri de références littéraires, philosophiques, sociétales ou plastiques qui se sont agrégées autour de l’image première, une statue totem de la sculptrice Martine Demal. C’est une des vertus essentielles du mythe que de permettre d’infinies variations qui en explorent les ressources potentielles. Aussi l’accumulation et l’élévation des « pierres » debout de l’artiste entrent-elles en résonance avec celles des péripéties et des significations d’un récit, jamais définitivement clos et toujours susceptible de s’éveiller à nouveau d’un sommeil passager – fut-il séculaire.

C’est donc à l’invitation du conteur que le public est appelé in fine à se faire co-créateur, à partir des fondamentaux qu’il a repérés et s’est appropriés, d’un nouvel embranchement ou d’un nouvel avatar du récit des origines. Alors les trois vieilles femmes ridées et grises de cheveux…

Icare

Conte initiatique d’après Apollodore et Ovide : de quoi Icare est-il le nom ?

Les trois contes programmés dans cette dix-huitième édition de la Semaine de Théâtre Antique offrent une même formule, celle d’un récit théâtralisé que suit une analyse collective des significations perçues et partagées, facteur d’appropriation du conte et source d’émergence de son développement. Ce choix repose sur la conviction que tout récit mythique recèle un parcours initiatique où le monde et l’homme se révèlent à eux-mêmes par la grâce de la fable et du merveilleux et qu’il accorde à chacun l’opportunité d’en être à son tour le porteur et le messager.

Si nous pensons Icare aussitôt s’éveille l’image d’un homme-oiseau aux grandes ailes s’arrachant à la pesanteur terrestre dans un envol majestueux et tranquille, image accompagnée pour nombre d’entre nous du souvenir de rêves où nous volions heureux et détachés de toutes contingences au-dessus de ce bas monde. Icare… la belle image sur laquelle nous aimerions nous attarder, va bientôt se distordre, à l’écoute du récit de l’aventure tragique d’un fils oublieux des mises en garde prononcées par un père trop ingénieux.

Il y du trop à foison dans cette légende, trop d’intelligences rusées, trop de défis insensés, trop de violences monstrueuses, trop d’espérances folles. Est-ce pour cela que les batailles interprétatives n’ont pas cessé autour du nom d’Icare, qu’elles fassent du héros malheureux la victime emblématique des désirs irraisonnés ou le porte-drapeau d’un insatiable et glorieux besoin de connaissance ? Voilà que la chute s’amorce dans notre rêve chargé d’angoisses et que le corps alourdi s’abime dans la mer qui va porter son nom et jamais ne disposera du total pouvoir de l’engloutir ce corps perdu, lui valant brevet d’immortalité dans l’humaine mémoire.

Reste à chacun de nous à se prononcer intimement sur ce que d’aucuns qualifieraient de felix culpa, heureuse faute, durement châtiée. Reste aussi à chercher ensemble, une fois apaisée l’émotion suscitée par l’écoute de ce récit troublant, quel message encore celé serait à découvrir sous le nom d’Icare. Inépuisables les mythes, initiatiques les contes, vous le savez bien…

Vent debout citoyen, ou la Res Publica incarnée du temps de la Révolution française

Portrait de Jacques Verdollin en mots et en musique

Que nous dit d’un homme sa notice biographique ou autre curriculum vitae sinon l’écume de ses jours, cette frange perlée où se lisent avant de s’évanouir dans l’esprit du lecteur les affectations et les emplois d’une vie dignes d’être signalés à l’attention de ses contemporains et ultérieurs éventuels historiographes ? Regardons ainsi ce que nous communique, en quelques lignes, sur Jacques Verdollin, la notice établie par l’Assemblée nationale.

Né à Annot dans l’actuel département des Alpes-de-Haute-Provence le 29 novembre 1738 et mort à Paris le 16 avril 1793, Jacques Verdollin exerça d’abord la profession d’avocat puis fut élu à la sénéchaussée d’Aix-en-Provence et à la députation de la sénéchaussée de Draguignan, devint président adjoint de l’assemblée du Tiers Etat, prêta le serment dit du Jeu de paume, fut député du 27 avril 1789 au 30 septembre 1791, devint après l’élection de l’Assemblée législative procureur général syndic des Basses-Alpes et fut élu en septembre 1792, après l’abolition de la monarchie, député à la Convention où il vota au procès de Louis XVI la culpabilité, la réclusion et le bannissement.

Voilà ce que nous savons pour l’essentiel de l’honorable cursus honorum d’un homme politique français ayant exercé ces responsabilités dans les tourmentes de la période pré-révolutionnaire puis révolutionnaire jusqu’à sa mort à l’âge de 54 ans. C’est beaucoup et c’est peu, trop peu pour voir paraître ce que fut la personne en charge de ses fonctions et dont les archives disponibles donnent à penser qu’il fut un citoyen exemplaire au service de cette Res publica désignée par les Anciens comme lieu symbolique et réel d’exercice des ambitions les plus hautes et les plus nobles.

En ce temps où nous souffrons d’une image du politique gravement détériorée, il nous a semblé pertinent de proposer à l’attention des hommes et des femmes d’aujourd’hui ce parcours non-héroïsé d’une personnalité modeste, pleinement engagée dans sa vie privée et publique au service du bien commun. Ce portrait prend la forme d’une adresse, entrecoupée de chants révolutionnaires, faite à l’homme et au citoyen vent debout contre les adversités.

Hercule au jardin des Hespérides

Conte initiatique d’après Apollodore et Pausanias : de quoi le héros est-il donc fait ?

Les trois contes programmés dans cette dix-huitième édition de la Semaine de Théâtre Antique offrent une même formule, celle d’un récit théâtralisé que suit une analyse collective des significations perçues et partagées, facteur d’appropriation du conte et source d’émergence de son développement. Ce choix repose sur la conviction que tout récit mythique recèle un parcours initiatique où le monde et l’homme se révèlent à eux-mêmes par la grâce de la fable et du merveilleux et qu’il accorde à chacun l’opportunité d’en être à son tour le porteur et le messager.

Hercule c’est ce héros simple et imparfait mortel jouet de sa force prodigieuse qui, fils des basses œuvres d’un Zeus séducteur d’Alcmène par emprunt de l’apparence de son époux Amphitryon, ne se contentât point du statut de demi-dieu et conquit sa place au banquet des olympiens au terme de grandes épreuves remportées et de grandes souffrances surmontées. Sa vie terrestre ne fut certes pas un long fleuve tranquille et le récit flamboyant des douze travaux et autres prouesses qui firent sa renommée occulte quelque peu le stupéfiant et corollaire chemin de douleurs auquel mit fin le bûcher funèbre allumé par ses soins.

Qu’est-ce donc qu’un héros et de quel bois est-il fait celui qui, tel l’homme à la massue et à la peau de lion, cogne et massacre, tombe et se relève, acteur d’une étrange et continue résilience ? Serons-nous mieux armés pour tenter de répondre à cette redoutable question après l’avoir accompagné sur sa quête du jardin des Hespérides où son cousin Eurysthée lui a imposé mission d’aller et d’en ramener quelques précieuses pommes d’or arrachées à l’attention d’un fabuleux dragon ?

Le périple de ce onzième des douze travaux pénitentiaires nous convainc sans peine de l’admiration qu’éprouva toute l’Antiquité pour le personnage très magnifique et très digne de pitié qu’elle honora en figure civilisatrice d’un monde archaïque et barbare et que nous découvrirons, loin de tous schématismes mensongers, entre ombres et lumières.