Avant-première du film, présenté par Philippe Brunet et suivi d’échanges avec lui et les comédiens, sur les apports du cinéma au théâtre : que se passe-t-il de la scène à l’écran ?
Dimanche 1er mars – 10h/12h30, accueil à partir de 9h30
Synopsis
Le pays de Thèbes souffre de la pestilence. Le roi récent, Œdipe (« gros-pieds »), vainqueur de la Sphinx, a fait interroger l’oracle d’Apollon : pour enlever la souillure, il doit chercher le criminel qui a tué Laïos, son prédécesseur sur le trône et dans le lit de la reine Jocaste. Le devin Tirésias, interrogé, finit par accuser Œdipe d’être le coupable. Œdipe refuse de le croire. Le doute commence quand il se souvient d’avoir tué quatre hommes sur son chemin d’errance, alors qu’il fuyait ses parents, le roi et la reine de Corinthe (pour éviter que s’accomplisse un autre oracle du dieu, selon lequel il devait tuer son père et coucher avec sa mère). Or, un messager vient de Corinthe lui annoncer la mort de son père. L’oracle ne peut donc s’accomplir. Mais qui était vraiment son père ? Entretemps, Œdipe a convoqué le berger, témoin survivant de l’assassinat de Laïos. Confondu par le Messager corinthien, cet homme se révèle être le garde à qui Jocaste avait confié son bébé pour qu’il le tue. Laïos, qui, d’après le dieu, devait être tué par son propre fils, avait percé d’une broche les pieds du bébé, pour le faire périr dans la montagne. Sauvé par le garde et transmis à un autre berger, l’enfant fut adopté à Corinthe. Œdipe est donc le coupable, celui qui a tué le roi du pays ; ce roi était son père, et la reine Jocaste, veuve du roi défunt Laïos, devenue son épouse, est sa propre mère. Œdipe retrouve celle-ci pendue, et se crève les yeux.
Principes du film
Histoire saisissante sur l’homme et son destin tragique, la pièce de Sophocle est une des plus fortes du répertoire, la plus exemplaire d’après Aristote.
Le film retrace les deux vies du roi Œdipe, l’une, à Thèbes, au présent, à travers la pièce de Sophocle mise en scène dans la boîte noire, sans décor, d’un plateau de théâtre ; l’autre, interdite au théâtre parce que hors scène, devient la matière riche et lumineuse du passé, de la mémoire, de Corinthe, patrie d’adoption du jeune Œdipe, et de tous les chemins de l’errance.
Philippe Brunet, helléniste, metteur en scène de la troupe Démodocos, a choisi de mettre en images ce qui est dit au moment où la chose est dite et découverte dans l’intrigue de Sophocle, contrairement à Pasolini, qui dans son film magnifique Edipo Re de 1967 avait tout retracé d’une manière linéraire, plus épique que tragique, à partir de la conception et la naissance du bébé.
Ainsi alternent le jeu théâtral masqué, tourné sur le plateau du grand auditorium de la BNF, et sa continuation hors du cadre de scène, en extérieur, dans la lumière grecque de la Cyclade Kea. La dramaturgie tragique, parfaitement rendue, devient le principe d’une articulation entre scène et hors-scène, spectacle de théâtre et images interdites au théâtre et révélées par l’image cinématographique.
Le film reprend les codes de l’écriture poétique et théâtrale retrouvés dans la mise en scène, et restitue au plus près l’expression des voix, des gestes, des masques. Ainsi le théâtre de masque s’exporte-t-il, d’une manière neuve et surprenante, dans l’image de fiction ensoleillée.
Les costumes et les masques de bois situent l’action à un point indéterminé de la route des masques qui court entre la Grèce et l’Extrême-Orient, dont Philippe Brunet est originaire par sa mère. Le masque permet à l’acteur de réinventer un langage de gestes dans la tradition grecque ancienne et à la manière des théâtres d’Asie qui ont maintenu cette tradition de jeu. La scansion poétique en français renoue avec des expériences de reviviscence de l’Antique tentées à la Renaissance et interrompues par les guerres de religion et le triomphe de l’esthétique versaillaise. La présence du grec ancien comme une langue de mémoire parlée par le Chœur ou par Jocaste, ou par Œdipe, une fois qu’il a percé ses yeux, témoigne en faveur d’une langue de vérité plus profonde, enfouie en nous.
L’expérience de cette petite troupe de jeunes comédiens, et de moins jeunes, créée par Philippe Brunet en 1995, provient à la fois d’un laboratoire de recherche sur le vers grec et d’un atelier nomade d’aventuriers du geste et du pas de danse : intérieur / extérieur, si l’on veut mettre le doigt sur le raccord tenté par le film. Le film témoigne aussi d’une rencontre avec un lycéen américano-grec, Geoffrey Hazard, qui les a un jour attirés vers les ruines antiques de Karthaia, sur l’île grecque de Kea, pour leur faire partager les bienfaits de l’hospitalité grecque.
Trailer du film :
https://vimeo.com/389101247/c481f93d6c
Fiche technique et distribution
Le double destin du roi Œdipe, 1h51’, par le Théâtre Démodocos, réalisation Philippe Brunet, lumières Eric Pelladeau, chef opérateur BNF Nicolas Duchêne, autres caméras Matthieu Fabbri et Marion Koch, coopération artistique Stéphane Ragot, son BNF Xavier Griette, images Kea Grégory Bendrihem et Christophe de La Fosse, montage Sophie Brunet, mixage Matthieu Deniau, étalonnage Julien Petri. Disponible en version sous-titrée : anglais, portugais, castillan, chinois.
D’après Œdipe roi de Sophocle, traduit et mis en scène par Philippe Brunet, spectacle créé en 2014. Musique François Cam, chorégraphies Fantine Cavé-Radet, masques sculptés par Guillaume Le Maigat et peints par Céline Radet, costumes Florence Kukucka, lumières Eric Pelladeau.
Accessoires et décor Fantine Cavé-Radet et Geoffrey Hazard.
Texte et musique des trois strophes de l’Hymne de Delphes d’Athénaios (IIe s. av. J-C) dans la version de François Cam ; chanson de Danaé du poète de Kea Simonide (Ve s. av. J-C) mise en musique et interprétée par Sarae Durest ; airs de cornemuse interprétés par Giannis Servos.
Distribution : Philippe Brunet (ŒDIPE), Alexandre Michaud (JEUNE ŒDIPE), Henrri de Sabates, Kevin Bhaugeerutty (CRÉON), Susie Vusbaumer (JOCASTE), Daniel Rasson (PRÊTRE DE ZEUS), Gilles de Rosny (TIRÉSIAS), Alexandre Michaud (MESSAGER CORINTHIEN), Daniel Rasson, Kevin Bhaugeerutty (SERVITEUR DE LAÏOS), Hubert Devos (ESCLAVE DU PALAIS), Maël Bailly, François Cam, Yanis Cleret, Sarae Durest, Elise Haddad, Georgiana Hatara, Violette Hu, Armelle Nicolas, Martin Rellé, David Suzanne (CHŒUR DES VIEILLARDS et SUPPLIANTS THEBAINS), David Suzanne, Geoffrey Hazard (LAÏOS), Maël Bailly (POLYBE ROI DE CORINTHE), Saraé Durest (MÉROPE REINE DE CORINTHE), Violette Hu (PYTHIE), Armelle Nicolas (SPHINX), Geoffrey Hazard (COCHER DE LAÏOS), Maël Bailly, Martin Rellé (GARDES DE LAÏOS), Giannis Servos (JOUEUR DE CORNEMUSE), Kevin Bhaugeerutty, Martin Rellé, David Suzanne (PORTEURS DE POLYBE), Benjamin Hazard (GUIDE DE TIRÉSIAS), Fantine Cavé-Radet (JOCASTE ENCEINTE), Samuel Leter, Martin Rellé (MORTS).
Production : Théâtre Démodocos (association loi de 1901)
Partenaires : Université de Rouen Normandie (labo ERIAC), Sorbonne Université (FSDIE et Service Culturel), Ministère de l’Education Nationale, Grand Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France, Municipalité de Kea (Cyclade, Grèce), Studio Orlando.
Le film est en cours d’immatriculation en vue de l’obtention d’un visa d’exploitation.
Le réalisateur
Philippe Brunet, né en 1960, a participé en tant qu’acteur et metteur en scène des Perses au dernier film de Jean Rouch, Le rêve plus fort que la mort (AMIP 2002) ; le cinéaste ethnographe avait assisté à sa première mise en scène, A quand Agamemnon ? en 1997 à la Sorbonne.
Helléniste, professeur de littérature grecque à l’université de Rouen et spécialiste de scansion (labo ERIAC), Ph. B. a entre autres traduit L’Iliade pour les éditions du Seuil (2010), et publié L’Egal des dieux. Cent et une versions d’un poème de Sappho chez Allia (2019). Avec la troupe Démodocos, il recrée le répertoire antique à Avignon (2002-10), à Vaison-la-romaine (2000-2019), dans le théâtre romain de St Marcel (Milliaires 2007-2019), et à Paris dans le cadre du festival des Dionysies (depuis 2006). Il a récemment représenté, en 2019, les Suppliantes d’Eschyle dans une mise en scène qui a fait grand bruit dans les media : des militants anti-racistes ont protesté contre les maquillages sombres des Danaïdes (alors que des masques devaient être créés ce jour-là) et empêché la tenue de la représentation du 25 mars 2019. Celle-ci, appelée par les dirigeants de Sorbonne Université, et par les Ministres de la Culture et de l’Enseignement Supérieur, s’est tenue le 21 mai en Sorbonne à l’invitation du recteur Gilles Pécout.
Depuis quelques années Philippe Brunet expérimente l’adaptation des formes cinématographiques au théâtre (Antigone abyssinienne, Avignon 2010) et des formes théâtrales au cinéma. Il a travaillé en 2017-18 une première version non étalonnée du projet Les Bacchantes, récit d’une capture, avec l’aide de Jacques Sechaud au montage et d’Alain Michon pour le son.
Le double destin du roi Œdipe, tourné entre 2016 et 2018, est son premier film.
Le Théâtre Démodocos
Créé en 1995 par Ph. B. d’après le nom de l’aède aveugle dans l’Odyssée. La troupe collabore à l’origine avec Robert Ayres (Le Retour d’Ulysse 1995, Les Amours d’Arès et d’Aphrodite 1996), puis passe d’Homère à la tragédie sans jamais oublier Homère. A monté sous la direction de Ph. B. A quand Agamemnon en 1997, L’Orestie en 1998 (en grec ancien), Les amours de Catulle et Circé en 1999 (trad. de Catulle A. Markowicz), Orphée en 2000, Les Perses en 2001 (musique J.-B. Apéré, trad. G. Boussard, Y. Migoubert, A. Münch), Les Grenouilles en 2003 (musique S. Vilar, trad. Sy. Brunet) et en 2019, L’Iliade dite intégralement à Paris, Avignon, Athènes en 2005-06 et en 2019, Antigone en 2005-08 (trad. Ph. B.), joué notamment au Louvre en 2017 et toujours au répertoire ; a repris L’Orestie avec la danse en 2009-11 (trad. Agamemnon et Choéphores G. Boussard, Euménides A. Münch), puis créé Les Bacchantes en 2012 (trad. Ph. B.), Amphitryon en 2013 (trad. N. Lakshmanan), Œdipe roi et Les Sept contre Thèbes en 2014 (trad. Ph. B.), Lysistrata en 2015 (trad. S. Durest et R. Durville), Les Suppliantes en 2016 (trad. Ph. B. et A. Münch), Prométhée enchaîné en 2017 (trad. G. Boussard). L’intégrale d’Eschyle est donnée à Vaison-la-Romaine en 2018. En 2020, la compagnie se lance dans la performance et la mise en scène d’une Odyssée intégrale (trad Ph. B.).
Dans les adaptations dramatiques, le recours à la langue grecque prend un sens particulier : langue de mémoire (Perses) ou de révolte (Antigone, Prométhée), langue de l’inconscient maternel (Œdipe), langue du délire dionysiaque (Agamemnon, Bacchantes, Sept), elle permet de basculer d’un plan de jeu plus intellectuel en traduction à un plan de transformation dans la langue grecque où se rêve l’action dionysiaque. Parfois l’enchaînement des langues arrive à créer leur stricte équivalence (Suppliantes).
François Cam, qui compose la plupart des musiques du répertoire pour la troupe, le fait dans un esprit de retrouvailles avec les principes harmoniques de la musique grecque de l’Antiquité, principalement dans les parties chorales maintenues en grec ancien. Dans Œdipe roi, on a ajouté une exécution chantée et dansée des trois strophes de l’Hymne à Apollon, tel qu’on l’a retrouvé, à Delphes, avec sa notation musicale antique.
Toutes les traductions sont des transpositions métriques du grec ou du latin : le principe prosodique d’alternance des syllabes longues et brèves (en grec), toniques et non-toniques (en français) permet de renouer avec des formes variées et toujours définies dans leur rythme et dans leur genre (iambes du dialogue parlé, récitatif anapestique, rythmes mélangés des parties lyriques etc.). Des degrés d’interprétation, du parler relâché au scandé choral, font varier le degré d’acuité rythmique, un peu comme dans le nô japonais, qui, selon Ph. B., reste la forme la plus aboutie de la tragédie grecque, au bout de la route de la Soie et des masques !
Dans cet esprit de correspondance du texte et du corps dans le rythme, Philippe Brunet a exploré un principe d’adaptation du texte métrique à la chorégraphie vers 2008-2010 qui a relancé le travail choral de la troupe ; Fantine Cavé-Radet a écrit ainsi les chorégraphies des Bacchantes et d’Œdipe roi, spectacle créé en 2014.
La collection de masques de bois sculptés par Guillaume Le Maigat et peints par Céline Radet a été réalisée entre 2012 et 2014. F. Kukucka a étendu sa création somptueuse des costumes scéniques d’Œdipe roi aux personnages hors scène de la pièce, et dont le film réveille l’image : Œdipe jeune, roi et reine de Corinthe, Sphinx, Pythie, Laïos…
Le Théâtre Démodocos, épaulé par Sorbonne université, est partenaire de la Semaine de théâtre antique de Vaison-la-Romaine, du festival des Milliaires (Argenton-sur-Creuse / St Marcel dans l’Indre) et du Festival des langues classiques (ville de Versailles). Outre le soutien que Ph. Brunet trouve, notamment pour son travail de mise en image, auprès de son laboratoire de recherche, ERIAC, de l’université de Rouen Normandie, le Théâtre Démodocos a reçu en 2019, dans le cadre de ses projets fortement liés au milieu éducatif par son public et les formations permanentes qu’il effectue dans ses ateliers, le soutien du Ministère de l’Education Nationale, et, pour la défense des Suppliantes, le soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur, de l’Innovation et de la Recherche, et du Ministère de la Culture. Il remercie la Bibliothèque Nationale de France pour son accueil, ainsi que la municipalité de Kea. Il remercie le Studio Orlando pour sa contribution essentielle au mixage et à l’étalonnage du film.