Programme de juillet-août 2021 à 19h au théâtre du Nymphée
Jeudi 1er juillet – Antinoüs, de Fernando Pessoa
Sublime poème d’amour de l’empereur Hadrien penché sur le lit de mort de son bien-aimé compagnon de vie et de jeux. Lecture-spectacle poétique et musicale donnée par Annie Blazy (voix) et Delfine Ragonot (composition et interprétation sur instruments anciens).
Publié en 1918 avec Trente-cinq sonnets puis réédité en 1921 dans le recueil Poésie anglaise, Antinoüs fut écrit dans cette langue sous son nom propre par l’écrivain et poète portugais aux multiples identités.
Dans ce recueil « Il y met à nu ce qu’il y a en lui de plus vulnérable, les plaies de l’âme : l’inquiétude religieuse, le désir sexuel, le rêve de gloire. La langue anglaise, traitée avec une recherche qui confine à la préciosité, le permet, en mettant une distance entre l’auteur et l’objet de son aveu » Robert Bréchon dans la préface d’ Œuvres poétiques de Fernando Pessoa, La Pléiade.
La traduction de Patrick Quillier restitue avec talent la force poétique de l’évocation d’une passion qui s’est élevée à la hauteur du mythe et dont témoignent les multiples portraits sculptés et les noms de villes fondées en hommage au bel éphèbe divinisé.
Ici, dans le verbe poétique, s’effondre un homme de pouvoir terrassé par la violence de la mort et de la perte de l’être aimé. Ici, au bord du Nil, l’empereur Hadrien, à la tête de l’empire romain au moment de son apogée, pleure le jeune bithynien dont il a fait son compagnon de vie, de plaisir et de jeux.
Le poème est un oratorio qui fait entendre l’expression incandescente d’une douleur paroxystique, littéralement qui ne peut pas être supportée et conduirait à la folie et à la mort si elle ne se soumettait pas plus violemment encore à un désir d’éternisation de l’amour partagé, par-delà toutes limites de l’espace et du temps.
Au plus vif de la blessure s’exacerbe la mémoire charnelle d’un art d’aimer dont le savoir fit du jeune berger le maître du maître du monde, mémoire perturbatrice du corps et de l’âme de celui qui se penche sur la couche des plaisirs devenue lit mortuaire.
Le texte est composé de séquences versifiées d’inégales longueurs rythmées par le martèlement d’une pluie lancinante qui accompagne la veillée funèbre, hallucinatoire et prophétique d’une toute-puissance fracturée que réparera peut-être la promesse donnée d’une immortalisation, elle-même paradigme de l’ambition du poète.
Dans la lecture-spectacle de cet Antinoüs, les respirations sont celles de la musique composée et/ou interprétée par Delfine Ragonot sur des instruments à consonance ethnique ou ancienne tels que cithare, ovni, tambour, bâton de pluie.
La lecture étant d’abord un dire, la voix d’Annie Blazy fait entendre deux voix que le texte n’explicite pas totalement et qui sont d’abord celles du poète visionnaire de la scène se jouant devant ses yeux ou de tout autre témoin possible de cet événement, puis celle d’Hadrien s’adressant à Antinoüs, le passage de l’une à l’autre se repérant aussi visuellement par le passage de la position assise à la position debout.
Jeudi 15 juillet – Retour à Fukushima de et avec Philippe Brunet-Haga
Fondateur du Théâtre Demodocos, Philippe Brunet-Haga évoque en mots et en musique en hommage à son arrière-grand-père japonais le fabuleux voyage d’Ouest en Est de ce médecin à qui les étapes de chevauchement et de marche offrirent la liberté de méditer sur le passé et de composer des vers en tétramètres.
Qui de nos adhérents et participants aux activités de l’association Hadrien 2000 ne connaît pas Philippe Brunet, le fondateur, metteur en scène et interprète du Théâtre Demodocos, le philhellène traducteur d’Homère et des poètes tragiques et lyriques, professeur de grec ancien à la faculté de Rouen, dont les représentations ont enchanté pendant vingt ans les soirées de la Semaine de Théâtre Antique au théâtre du Nymphée ?
Ceux-là même qui pourraient s’étonner de voir aujourd’hui accolé à son nom celui de Haga découvriront l’hommage rendu à sa lignée maternelle par la reprise du nom de son arrière-grand-père japonais Eijirô Haga, jeune médecin qui en 1898 en séjour à Berlin achètera pour l’expédier au Japon la première machine à rayons X et choisira d’y rentrer par la voie terrestre en traversant la Sibérie à cheval.
A partir des notes de voyage et d’un récit rédigé dans les années 30 par son aïeul, Philippe Brunet compose un poème de quelques 2500 vers retraçant la vie d’un fils de samouraï né dans le fief de Aizu, actuel département de Fukushima, dont la famille subira les bouleversements issus des affrontements entre l’ancienne féodalité du shogounat et la modernité de l’ère Meiji, source pour tous ses membres d’un déclassement violent.
Dans ce poème qui se donne comme une traduction qu’il n’est pas, Philippe rêve, sur le rythme de la première poésie grecque archaïque, ce voyage d’Est en Ouest comme d’un pont jeté entre deux cultures, moment initiatique d’une quête de soi et d’une identité personnelle et collective. Cette écriture s’accomplit à l’ombre portée de la catastrophe nucléaire dans un tsunami qui rend impossible tout retour à un Fukushima antérieur mais n’efface pas la mémoire de ce qui s’y est joué hier comme avant-hier, et dont ce voyage entre réalité et fiction, entre strates temporelles et spatiales, garde les traces.
S’accompagnant lui-même musicalement, Philippe Brunet-Haga fera entendre une sélection d’extraits de ce long poème qu’il sera possible de découvrir dans son intégralité dans la très belle édition BoD, un poème qui s’ouvre ainsi :
MILLE huit cent quatre-vingt dix-huit. Il neige sur Berlin :
tourbillon de fleurs, flocons tombant par milliers des tilleuls,
libres à tous vents. Je ne serai bientôt plus où je suis.
Aizu est mon clan. Fukushima, le socle d’où je viens.
Quelle urgence à repartir ? J’irai revoir mes cerisiers.
Je suis Haga Eijirô, fils de Haga Yorimasa
Qui portait le sabre :…
Jeudi 22 juillet – Bifrontale Circé
Entre conte et lecture de la compagnie Hadrien 2000, le spectacle confronte et livre deux imaginaires et deux affirmations des vérités énigmatiques de l’ensorcelante héroïne mythique opposant la vision d’Homère – patriarcale et antique – dans l’Odyssée et celle de Margaret Atwood – contemporaine et féministe – dans Circé, poèmes d’argile.
Avez-vous déjà rêvé de Circé, la redoutable et séduisante magicienne « aux belles boucles et à la voix d’or », celle qui connaît le secret des plantes vénéneuses dont le suc fait perdre aux téméraires, abordant les rivages de l’île où elle demeure solitaire, toute humaine apparence ? C’est que vous avez lu Homère ou que le voyage d’Ulysse vous a été conté et que le chant X de l’Odyssée vous a révélé la troublante métamorphose des compagnons du roi d’Ithaque en malheureux cochons. Si vous n’êtes plus très sûrs de vos souvenirs, n’ayez crainte, l’épisode vous sera conté tel qu’Homère l’a narré dans l’Odyssée tout à la gloire du rusé aimé des dieux, à vrai dire de certains d’entre eux car d’autres le poursuivent de leur vindicte tenace ….
A cette vision très patriarcale, comme il allait de soi en ce VIIIème siècle ante JC mais de moins en moins depuis quelques décennies, s’oppose un point de vue radicalement différent exprimé par la très féministe canadienne Margaret Atwood dans un ouvrage publié en anglais en 1974 et dont la traduction française de Christine Evain vient de paraître aux éditions Bruno Doucey. Si vous avez lu « La servante écarlate » ou vu l’adaptation en série de cette fabuleuse dystopie, vous ne serez guère surpris du regard qu’elle porte sur Circé et sa farouche détermination de ne point s’en laisser conter par le superbe guerrier avec qui elle noue une relation amoureuse échappant à l’ancestral rapport de domination.
Ainsi dans Circé, Poèmes d’argile, vous entendrez la voix de Margaret qui donne en vingt-quatre poèmes la parole à une Circé dont les envoûtements sont ceux d’une adversaire/partenaire, sachant porter les coups et les recevoir, à égalité d’intelligence et de puissance mentale, désireuse de modifier les règles d’un jeu stérile condamnant l’homme et la femme et le monde dans lequel ils vivent à un désolant gaspillage de leurs ressources vitales. Cette réinterprétation du mythe, obéissant à la loi du genre qui veut son incessant renouvellement au fil des siècles, entre férocité et douceur, lucidité et douleur, dessine en filigrane le portrait d’une femme à-venir en guerrière obligée par le temps long des mutations annoncées.
Tel Janus bifrons au double visage de guerre et de paix, le choix scénographique de ce spectacle confronte la voix unique du conte homérique aux voix multiples de lectrices, en miroir éclaté de toutes les facettes composites du personnage mythique. En Circé, chaque femme pourrait-elle donc se connaître, se reconnaître autre que « femme d’argile » modelée par le seul désir masculin ? Quel chemin cette Circé-là désignerait-t-elle aux aventurières de la liberté, soucieuses de résister à l’emprise amoureuse dévastatrice et capables de solitude assumée ?
Margaret/Circé disposent également du pouvoir de parole qui défait les illusions et les tromperies et si elles ne chantent plus la gloire de héros abîmés dont Homère s’est chargé pour toujours, elles accueillent en conscience leurs fragilités garantes d’humanité.
Jeudi 5 août – Médée, d’Ovide
Les Métamorphoses Livre VII – Traduction Marie Cosnay – Le livre de Poche
Médée, autre sorcière, nièce de Circé, plus maléfique encore dans une capacité de nuisance à la hauteur de sa fureur amoureuse, « sublime, forcément sublime » pourrait dire Duras, se révèle aussi, sous l’attention que lui prête Ovide conté et lu par Annie Blazy et Annie Torqueo, une magicienne à l’incomparable force créatrice et poétique.
Ce n’est pas n’importe quelle Médée. Ce n’est pas la Médée des auteurs grecs archaïques qui ne la chargent pas du crime d’infanticide. Ce n’est pas celle des classiques tragiques comme Euripide ou Apollonios de Rhodes dont le récit culmine avec la fureur meurtrière et vengeresse de l’épouse bafouée qui fait périr atrocement Creuse, la nouvelle promise de Jason, incendie le palais royal de Créon et porte le fer sur ses propres enfants. Ce n’est pas non plus celle, contemporaine, de Christa Wolf qui voit en elle la femme libre, étrangère accusée de pratiques magiques qui dérange Corinthe et dont le peuple lapide les enfants en imputant leur mort à leur mère.
Cette Médée est celle du poète latin Ovide nourri de littérature grecque qui, dans le livre VII des Métamorphoses, fait revivre des épisodes choisis par lui dans le corpus du mythe et dont le propos essentiel est d’affirmer par la médiation de la figure légendaire le pouvoir éminent de la parole poétique, une parole créatrice du réel et de son processus incessant de transformation. « Tes poèmes, que ne peuvent-ils pas ? » ainsi dit Jason à Médée. Ainsi ses poèmes et ses chants conduisent-ils au sommeil le dragon gardien de la Toison d’or comme les vieillards Aeson et Pélias. Ainsi Médée peut-elle fuir la mort « dans un nuage qu’inventent ses poèmes ».
Parce que le langage poétique est au cœur de ce récit et pour en faire éprouver l’indicible beauté, Médée est incarnée par Annie Torqueo dont les lectures d’extraits révèlent peu à peu une adolescente amoureuse, une femme passionnément éprise, une magicienne dans la toute-puissance de ses rituels interdits aux profanes, une médiatrice entre les Cieux, la Terre et les Enfers, une justicière soumise à sa seule loi. En contrepoint Annie Blazy dessine l’arrière-fond conté de ces moments-clé en restituant pour mieux suivre leur déroulement ce qu’il faut connaître de la légende non-mentionné par un poète s’adressant à des familiers d’un mythe qui n’a cessé de fasciner l’esprit humain.
Du livre des Métamorphoses, ce long poème de 12000 vers composé en hexamètres dactyliques propres au genre épique, par Publius Ovidius Naso au début du premier siècle de notre ère sous le règne d’Auguste, premier des empereurs romains, on peut supposer que l’auteur eut conscience d’avoir écrit un chef d’œuvre, appellation confirmée par l’extraordinaire postérité de cet ouvrage, source d’inspirations de multiples créateurs en maintes disciplines artistiques. Mais après avoir lu et relu ces pages sur Médée, si possible à haute voix pour en mieux savourer la musicalité, on ne peut qu’acquiescer à la légitimité de l’orgueil exprimé par Ovide dans l’épilogue de son ouvrage :
J’ai fini mon travail, ni la colère de Jupiter, ni le feu, ni le fer, ni le temps vorace ne pourront le détruire.
Quand il veut, le jour qui n’a de droit que sur mon corps !
Qu’il finisse mon temps incertain de vie : immortel en ma meilleure partie, par-dessus les astres hauts, on me portera, mon nom sera ineffaçable ; partout où s’étend, sur les terres dominées, la puissance romaine, la bouche du peuple me lira ; j’irai, connu, à travers siècles et, s’il y a quelque chose de vrai dans les oracles d’un poète, je vivrai.
Jeudi 26 août
La véridique et stupéfiante histoire d’une vache sacrée ou la très sacrilège version provocatrice, terrifique et drolatique, d’une métamorphose empruntée sans autorisation préalable à Publius Ovidius Naso, auteur latin actif entre le moins un et le plus un de notre calendrier romain. Crime culturel commis, mis en scène et interprété par la compagnie Hadrien 2000.
Nota Bene : Les quatre premiers spectacles sont des petites formes réservées aux adultes pour une jauge réduite à 30 personnes avec un dispositif scénique plaçant le public sur le plateau de scène du théâtre du Nymphée et les intervenants à l’arrière-plan sur l’espace archéologique.
Le dernier spectacle pour tous publics et sans restriction autre que sanitaire est donné dans le dispositif habituel du théâtre du Nymphée.