Une exposition présentée à Paris du 17 juin au 17 septembre 2023 par la Fondation Custodia offre la découverte d’un peintre méconnu et singulier du 17ème siècle dont les historiens d’art s’efforcent de réduire le mystère depuis qu’au 19ème siècle l’un deux, le critique d’art Théophile Thoré, acquit l’un de ses tableaux qu’il prit pour un Vermeer, peintre dont il fut le « redécouvreur ».
C’est une vraie surprise que cette exposition de 23 des 45 œuvres connues de ce peintre hollandais en cette année 2023 qui vit le Rijksmuseum d’Amsterdam à la fois célébrer dans une scénographie remarquable le génie du peintre de Delft, Johannes Vermeer, et le Mauritshuis de La Haye faire connaître celui qu’on appellera peut-être un jour le peintre de Zwolle, ville de l’est des Pays-Bas, parce que des bâtiments ont été identifiés dans certains de ses tableaux. Si nous ne savons rien de sa naissance ni de son parcours de vie, nous pouvons grâce à la datation du bois des panneaux peints évaluer approximativement une période d’activité de 1635 à 1650 et années suivantes, ce qui le situe bien par rapport à Vermeer (1632-1675) comme un prédécesseur. S’il ne date pas ses tableaux, à une seule exception connue, Jacobus Vrel les signe ou les marque d’un monogramme avec des variantes d’écriture et d’orthographe étonnantes.
Si ses œuvres ont pu longtemps être attribuées au peintre de Delft, c’est principalement en raison des sujets qu’il traite et qui se classent aujourd’hui en scènes d’extérieur et scènes d’intérieur occupant deux salles de l’exposition, les trois autres salles étant consacrées aux peintres de son temps, celui du Siècle d’or Hollandais. Les scènes d’extérieur, les premières composées, sont des scènes de rues de ville ou « ruelles » comme les nomma Théophile Thoré. Cette première salle présente 8 des 19 vues connues ainsi que le seul dessin identifié et l’unique paysage connu. Les scènes d’intérieur sont des scènes de la vie quotidienne, scènes de genre avec des figures féminines prédominantes au sein du foyer domestique. Sur les 27 œuvres identifiées, 22 seulement sont localisées, les autres n’étant connues que par d’anciennes photographies. L’exposition en présente 11 auxquelles s’ajoute une vitrine de livres d’emblème.
Cet aperçu, réalisé grâce au livret de la Fondation Custodia, propose uniquement la sélection de tableaux de Vrel et pour certains d’entre eux des détails de l’œuvre. Je souhaite qu’il permette, malgré l’imperfection des clichés pris par moi sans matériel spécialisé et au cours d’une visite avec un public nombreux, d’apprécier ce qui rapproche et ce qui distingue JV et JV, Jacobus Vrel et Johannes Vermeer. Une liste des œuvres correspondant aux photos numérotées indique l’intitulé des œuvres et donne quelques informations complémentaires.
Pour ma part j’ai été sensible à l’extraordinaire attention portée par Vrel à ce qu’il dépeint et à la minutie de son geste pictural qui requiert un regard soutenu pour prendre la mesure de ce qu’il met en valeur avec un soin remarquable. J’ai également apprécié le côté énigmatique de certains tableaux qui mobilise notre regard et suscite l’interrogation et l’interprétation. Mais s’il est indéniablement un précurseur de Vermeer par l’intérêt commun porté à l’environnement proche qu’il soit urbain ou domestique, la tonalité sombre de sa palette la distingue à mes yeux de la lumière qui sourd de toutes les œuvres du peintre de Delft et si les silhouettes féminines attelées à une tâche sont chez l’un et l’autre saisies avec acuité et respect, le mystère de l’intériorité des visages n’est approché que par le pinceau de Vermeer.
Annie Blazy
NB La numérotation indiquée entre parenthèses est celle de l’exposition. Cliquer sur les vignettes pour afficher les photos en plein écran.
Scènes d’extérieur
(1) Scène de rue, femme assise sur un banc. Huile sur panneau 36 x 27,5cm signée. Amsterdam Rijksmuseum. Achetée par Théophile Thoré, prise pour un Vermeer.(2) Deux femmes conversant par une fenêtre. Huile sur panneau 35,7 x 28,2cm. Worms Museum Heylshof. Achetée et présente dans le catalogue de l’œuvre de Vermeer dans la gazette des Beaux-Arts de 1866. Même datation du panneau provenant du même arbre que la scène de rue précédente.(3) Scène de rue, un homme et une femme discutant. Aquarelle sur papier d’Albertus Brondgeest pensant reproduire un Vermeer 360 x 273mm d’après un tableau de Jacobus Vrel. Delft Archives municipales.(4) Scène de rue animée. Huile sur panneau 39 x 29,3cm signée. Munich Alte Pinakothek. Serait sa plus ancienne vue de ville. J. Vrel précurseur d’un genre qui va se développer loin des scènes historiques et des bâtiments emblématiques. On remarque à gauche la présentation des pains du boulanger sur un tissu blanc et à droite une enseigne avec 5 plats à barbe suspendus.(5) Scène de rue, femme portant une corbeille. Huile sur panneau 33,5 x 26,5cm monogrammée. Collection particulière. Restauration ayant ravivé le camaïeu de bruns caractéristique de sa palette. Goût des peintures monochromes de la production hollandaise des années 1620-1630.(6) Deux hommes conversant dans une rue. Huile sur panneau 42,1 x 32cm signée. Collection particulière. 3 des 4 personnages vus de dos motif récurrent de J. V et une architecture propre aux villes de l’Est de la République néerlandaise.(7) Scène de rue avec une boulangerie près d’un rempart. Huile sur panneau 53,1 x 39,6cm signée. Collection particulière. Pains exposés sous l’auvent, le boulanger accoudé à une fenêtre (figure récurrente aussi, alter ego du peintre ?). Inscription en néerlandais confirmant une origine probable et une présence dans la ville de Zwolle (pan de mur correspondant au chemin de ronde).(8) Scène de rue avec une boulangerie près d’un rempart. Huile sur panneau 50 x 38,5cm signée. Hambourg Hamburger Kunsthalle. Copie par JV de son œuvre (7) avec un nid de cigogne remplacé par une imposante cheminée et le boulanger à une autre fenêtre.(9) Maisons le long d’un rempart, deux personnes s’éloignant. Huile sur panneau 36,3 x 27,8cm. Collection particulière. Haute construction identifiée comme le rempart de la ville de Zwolle. Motif intrigant et familier de l’œuvre de J.V : derrière les carreaux de la fenêtre une silhouette fantomatique.(9) Maisons le long d’un rempart, deux personnes s’éloignant. Détail.(10) Scène de rue avec un homme. Pierre noire, lignes d’encadrement à la plume et encre brune 215 x 160mm. New York The Hearn Family Trust. Seul dessin connu de la main de J.V. Etude préparatoire. Elément en saillie, un pothuis dont le haut forme un avant-corps servant de comptoir aux commerçants.Photographie de signatures de Jacobus Vrel.(11) Deux passants à l’angle d’une maison. Huile sur panneau 21,3 x 16,1cm signée. L’un des plus petits peints par JV où les briques des murs et les pierres pavant la rue dominent la composition avec un grand souci du détail. Collection particulière.(12) Etude de deux femmes. Huile sur panneau 35 x 25,5cm. Alkmaar Galerie Bijl-Van Urk. Esquisse de 2 figures de grande taille, la seule connue de sa main. Costumes portés par de nombreux personnages et par des femmes de toutes conditions.(13) Paysage avec deux hommes et une femme conversant. Huile sur panneau 37 x 28cm. Vienne Kunsthistorishches Museum. Décrit en 1659 dans un inventaire de la collection de l’archiduc Léopold Wilhelm d’Autriche. Une restauration récente a dévoilé ciel bleu et accents de couleurs vives. Modernité d’une composition simple.
Scènes d’intérieur
(14) Femme préparant des crêpes à la cheminée. Huile sur panneau 16,4 x 12 cm. Cologne Wallraf-Richartz-Museum. Le plus petit de ses tableaux dans un groupe de 3 scènes d’intérieur centrées sur une femme vue de près dans un espace peu défini. Vue de dos, une constante chez JV, la femme cuisine des crêpes, motif fréquent des scènes de cuisine hollandaise.(15) Femme à la cheminée. Huile sur panneau 36 x 27,5cm. Amsterdam Rijksmuseum. Vue de dos la femme attise le feu. Au premier plan un chauffe-pieds et un couvre-feu en faïence. Réutilisation d’un panneau plus ancien avec un portrait.(16) Intérieur avec femme au baquet. Huile sur panneau 49 x 55cm signée. Zwolle et Heino/Wijhe. Format horizontal unique et rôle prépondérant des objets au premier plan suscitent l’hypothèse d’une œuvre à 2 mains, pratique habituelle aux ateliers des Pays-Bas ; JV aurait peint la pièce et la jeune femme et l’enfant assise au sol sous un grand chapeau.(17) Femme au chevet d’un malade. Huile sur panneau 56,5 x 45,5cm. Anvers Musée royal des Beaux-Arts. Une jeune femme assise regarde par le battant d’une porte fermière, à côté d’un lit clos où repose un personnage probablement malade. Une restauration révèle le dommage subi par le panneau. Il existe 3 autres versions réalisées par JV ; celle d’Anvers seule fait apparaître les pantoufles rouges au premier plan.(18) Intérieur avec femme et garçonnet, petit enfant épiant depuis l’alcôve. Huile sur panneau 71,5 x 59,5cm. Bruxelles Musées Royaux des Beaux-Arts. Scène très animée avec une femme fouillant dans un tiroir, un chat sur un chauffe-pieds, un couvre-feu, un jeune garçon regardant par la fenêtre et au-dessus du lit clos la tête d’un enfant semblant épier.(19) Une femme fait la lecture à un jeune garçon, homme assis près de l’âtre. Huile sur panneau 63 x 47cm. Lille Palais des Beaux-Arts. La femme donne lecture à haute voix d’un manuel à un enfant posant la tête sur ses genoux. Un homme sur un tabouret bas près de l’âtre. Un cerceau et un bâton au sol. Reste d’une signature sur un papier au sol qui portait le monogramme PH d’un acheteur voulant faire croire à un tableau de Pieter de Hooch, mieux coté que JV.(19) Une femme fait la lecture à un jeune garçon, homme assis près de l’âtre. Détail de la figure centrale. (20) Femme assise regardant un enfant par la fenêtre. Huile sur panneau 45,7 x 39,1cm. Reste d’une signature sur le papier au sol. Sujet unique dans la peinture hollandaise du 17ème siècle. Femme penchée en avant, basculant sa chaise pour faire signe à une fillette de l’autre côté de la vitre donnant sur une autre pièce. Nombreux problèmes techniques de dessin et de perspective résolus par le peintre. Astuce de signature souvent utilisée par JV.(20) Femme assise regardant un enfant par la fenêtre. Détail.(21) Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte. Huile sur panneau 55,9 x 40,6cm. Détroit, The Detroit Institute of Arts. La femme semble concentrée sur la recherche des poux sur la chevelure de la petite fille. Un enfant regarde par une porte à doubles vantaux, son visage et son bras seuls se découpant sur la partie haute. Au sol un cerceau et un bâton et un morceau de papier portant la signature de JV dont l’emplacement équilibre la composition. Modernité du grand pan de mur vide.(22) Vieille femme à sa lecture, un garçonnet derrière la vitre. Huile sur panneau 54,5 x 40,7cm signée. The Orsay Collection. Proche de la composition 24, une femme est assise tournant le dos à l’enfant qui se tient derrière une fenêtre intérieure. Plusieurs modifications révélées par les analyses techniques.(23) Femme penchée à la fenêtre. 1654. Huile sur panneau 66,5 x 47,4cm signée et datée. Vienne Kunsthistorisches Museum. Une femme peinte de dos regarde par la fenêtre absorbée par ce qu’elle voit, les ciseaux sur la table suggérant un travail interrompu.(24) Intérieur d’une église réformée pendant l’office. Huile sur panneau 75,2 x 61cm signée. Collection particulière. Grand succès aux Pays-Bas des peintures d’intérieurs d’églises au 17ème siècle, le motif traité pat JV évoque plutôt les églises à 3 nefs des régions allemandes et son utilisation de la feuille d’or à son époque surprend. L’éclairage à la bougie suggère un office du soir et le huik, manteau noir des femmes réservé au deuil et à la pénitence signale une célébration de fin de journée de pénitence et de prière précédant le synode d’avant Noël du comté de Bentheim en Allemagne.(24) Intérieur d’une église réformée pendant l’office. Détail.