Collection Pinault Bourse de Commerce – du 8 février au 18 septembre 2023
Alors que se diffuse en accéléré, mais à vitesse variable, dans nos sociétés une perception anxiogène des perturbations climatiques, le travail des artistes présents dans cette exposition enregistre les mutations visibles, et invisibles, de nos environnements et témoigne de la « déconstruction » nécessaire du regard encore porté sur une Nature faisant couple séparé avec Culture, habitat propre d’une espèce humaine dont la domination s’exerce selon l’imperium tracé en art par les lois de la perspective.
Une des lignes de fracture essentielles de cette exposition oppose au regard des tenants d’un ordre du monde menacé et déjà inscrit dans la nostalgie du « en voie de perdition » si ce n’est du « perdu », celui à la fois distancié et investi de ceux qui, conscients de ce que le monde a cessé d’être cosmos pour devenir selon l’expression d’Emma Lavigne, directrice du lieu, un « chaosmos », font confiance aux métamorphoses incessantes du vivant sous toutes ses formes et appellent l’humain à collaborer à ce processus d’interaction continue dans l’humilité d’une position décentrée.
L’aperçu proposé porte sur deux œuvres seulement aussi fascinantes l’une que l’autre. La première – Waterfall (2015-2016) de Robert Gober – attire l’œil dès l’entrée dans la salle de la Galerie 4 alors que de loin elle est illisible et ne se révèle peu à peu qu’à l’approche comme étant, vue de dos, accrochée à un mur, une veste de costume percée d’une fenêtre invitant à l’exploration d’un paysage transformant le curieux en voyeur intégré de fait au dispositif. C’est une nature sauvage et préservée de toute empreinte humaine, porteuse de son histoire géologique – peut-être une forêt avec branche, pierres, lichen et mousses et eau ruisselante, – qui se donne à voir et à ressentir en immersion visuelle, sensitive et sonore rompant avec la distanciation qu’impose le regard habituel formaté par la perspective.
La seconde œuvre est constituée par l’installation dans une même salle d’un tableau en dix parties – Coronation of Sesostris (2000) de Cy Twombly – et d’une suspension de fines branches de hêtre fendues, de fils élastiques et de filaments lumineux réagissant aux variations atmosphériques dues aux personnes se déplaçant dans cet espace mais pouvant aussi se produire en leur absence, Ramitas Partidas et Breathing Lines, création de Daniel Steegmann Mangrané. Cy Twombly dans une vision panoramique trouée de segments de poèmes joue avec un temps long et cyclique où l’on peut pénétrer à tout moment au cours de la navigation solaire d’un souverain pharaonique conquérant, avatar de l’astre au graphisme enfantin, figure du dieu soleil Râ. L’éternel retour du même offre pourtant au regard du visiteur la possibilité de la perception intuitive d’une fragilité à la fois différente et similaire à celle des si légers branchages qu’un souffle pourrait jeter à terre.
Annie Blazy
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