Vous n’avez encore rien vu… nous dit en images et en mots Alain Resnais, cet insolent jeune homme de 90 ans qui nous balade sans avoir l’air d’y toucher dans un savant mixage d’espaces et de temps. Faire du cinéma avec du théâtre qui ne soit pas une captation mais qui joue avec la captation d’une Eurydice, écho d’une pièce d’Anouilh vue avec émotion il y a 70 ans, contrevient déjà aux codes usuels du cloisonnement des genres. Mais traiter en personnages cinématographiques des comédiens ayant nom et statut dans la réalité du hors image  et les confronter à leurs rôles de fiction jusqu’à les entraîner dans le présent continu d’une interaction avec une représentation filmée est une admirable jonglerie dont la complexité s’efface devant une impression d’évidente et paradoxale simplicité.

A cela s’ajoute la jonction de deux pièces, Eurydice (1941) et Cher Antoine (1969) dont le titre complet est Cher Antoine ou l’amour raté. Ou l’amour raté…, ne serait-ce pas l’indice de la persistance de la légende d’Orphée et Eurydice dans notre imaginaire? Notre humain, trop humain Orphée est capable d’entrer aux Enfers pour arracher Eurydice à la mort mais capable aussi de l’y rejeter sous n’importe quel prétexte pour faire obstacle à toute dégradation d’un amour prétendant s’inscrire dans l’éternité.

Faussement mort et faussement renaissant avant de disparaître élégamment pour mettre fin au trouble qu’il a suscité, le metteur en scène Antoine d’Anthac qui jouit du dispositif scénique auquel il a convié ses compagnons de jeu signe-t-il l’impuissance de l’artiste à ressusciter qui que ce soit, et d’abord lui-même, en dehors du seul champ de la fiction où s’écrivent sans fin les vérités possibles du mythe ? N’ y aurait-il de démiurge heureux et un brin filou que sur l’écran de nos nuits blanches ?