Eschyle

– naissance dans une famille noble d’Eleusis en 525, mort à Géla en Sicile en 456,
– combat à Marathon en 490 et à Salamine en 480,
– douze fois vainqueur au concours tragique depuis 484 – sur une journée chacun des trois concurrents doit donner 3 tragédies et un drame satyrique,
– ses tragédies, sauf Les Perses, sont « liées » : 3 séquences successives d’une même légende,
– son univers est empreint de l’intervention des dieux, du destin, de la Nemesis,
– 7 pièces sur une centaine nous sont parvenues.

Le Théâtre Démodocos

Fondé en 1995 et animé par Philippe Brunet, metteur en scène et professeur de grec ancien à la faculté de Rouen, ce centre de poésie et de théâtre antiques est, depuis 1999 et les manifestations de la célébration de l’an 2000, le partenaire privilégié de l’association Hadrien 2000 avec laquelle il a lancé en juillet 2000 la 1ère Semaine de Théâtre Antique de Vaison-la-Romaine. Les pièces au répertoire progressivement constitué sont à chaque reprise recréées par une mise en scène qui en renouvelle la perspective et les intentions.
Pour cette 19ème édition, il ose le pari et la performance d’une intégrale Eschyle Théâtre Monde, sept pièces données sur quatre jours au Théâtre du Nymphée, avec repli au Théâtre des 2 Mondes en cas d’intempérie.

Les spectacles

Sont proposés selon l’axe temporel, du mythe le plus éloigné avec Prométhée enchaîné, au plus récent avec L’Orestie célébrant l’avènement conjoint à Athènes au Vème siècle avant notre ère du théâtre, du tribunal et de l’agora.

Prométhée enchaîné (date de représentation inconnue) – Dimanche 8 juillet à 19h

C’est une affaire de famille mais de famille divine qui oppose les intérêts de Zeus, devenu maître d’un monde enfin stabilisé et roi incontesté des Olympiens, à ceux de son cousin Prométhée, auteur du double lèse-majesté que constituent le vol du feu céleste et un vol en faveur de l’espèce humaine misérable dont le Titan veut favoriser le développement en la faisant bénéficier des outils du progrès. Zeus accable le rebelle à sa toute-puissance d’une vengeance terrifiante en le faisant arrêter et enchaîner sur une haute montagne, immortel condamné à la souffrance sans fin d’un foie dévoré par un aigle et chaque jour renaissant. Sommé de révéler à l’Olympien le secret qui menace son avenir, Prométhée dénonce l’injustice de Zeus et s’obstine dans son orgueilleux refus, provoquant aussitôt le foudroiement et une violente réplique tellurique.

Figure ambivalente porteuse d’une confiance démesurée dans le progrès technique et symbole d’une résistance héroïque et grandiose à toutes les injustices, Prométhée le prévoyant, visionnaire de l’avenir, exprime magnifiquement auprès du Chœur des Océanides la violence de ce combat de géants et de forces archaïques, l’horreur du supplice infligé et la médiocrité mesquine du potentat arc-bouté sur ses privilèges et ses injustices. Comme Io, malheureuse victime de la malveillance d’Héra, à qui il prophétise la fin de son errance, le Titan terrassé sait que de cette lutte dont chaque protagoniste est à la fois vainqueur et vaincu, se dessine un futur état du monde où les équilibres seront sans cesse à redéfinir, rompant ainsi avec la vision d’un univers clos et figé. Mais quand s’assourdissent les clameurs de ce terrifiant conflit, il reste à entendre la question posée par le chœur sur le devenir de cette humanité qui en fut l’objet :

N’as-tu pas les yeux frappés de la chétive impuissance qui retient dans des entraves, paralysée comme en rêve, l’humanité tâtonnante ?

Réservez

Les suppliantes (représentée en -464, 463) – Lundi 9 juillet à 7h

Ce sont elles les Danaïdes qui vont dans ce premier épisode d’une trilogie tenter d’échapper en s’enfuyant d’Egypte sous la conduite de leur père Danaos aux pressions violentes de leurs cousins, fils d’Egyptos. Dans les douleurs et les risques de l’exil, elles vont solliciter la protection de Pélasgos, roi d’Argos, contre la razzia commandée par leurs prétendants et espèrent obtenir le droit de résidence en ce pays dont, descendantes de leur aïeule Io, elles sont originaires. Toutefois ces jeunes filles au caractère très affirmé se voient invitées par leur père à plus de modération et de diplomatie, alors qu’elles n’hésitent pas pour apitoyer le roi à le convaincre de sacrilège si elles étaient obligées de recourir au suicide et que leur refus exacerbé de toute approche masculine, contraire aux lois de la vie, pourrait bien entraîner la colère d’Aphrodite.

Tenant des rameaux de supplication, sur un tertre désolé près de la mer, le Chœur des Danaïdes exprime avec force et conviction leur confiance dans les dieux dont elles attendent qu’ils répondent favorablement à leurs prières et qu’ils refoulent dans une mer ensauvagée les brutes les poursuivant de leurs ardeurs détestables. Entre plaintes et prières, violence verbales et déterminations sans faille, les suppliantes obtiennent satisfaction et confirment avec superbe leur vœu de virginité :

Et qu’Artémis immaculée jette un regard compatissant sur notre essaim !
Point de joug nuptial qui nous asservisse à Cypris !
C’est un enfer que de subir ces assauts-là !

Réservez

Les sept contre Thèbes (représentée en -467) – Lundi 9 juillet à 19h

Tragédie finale d’une trilogie s’ouvrant sur un Laïos suivi d’un Œdipe, Les sept contre Thèbes sonnent le glas d’un affrontement sans merci. Les fils d’Œdipe, maudits par leur père, également désireux de conserver ou d’exercer le pouvoir, également sûrs de leur bon droit et de la faute de leur frère, également étrangers à toute volonté d’apaisement, se jettent inexorablement dans ce qui ne peut être que la dernière bataille. L’issue, brève et intense autant que fatale, dénoue les tensions de l’angoisse insupportable qui précède et de l’effondrement désespéré qui suit. Aux sept portes de Thèbes sept capitaines argiens emmenés par Polynice dépossédé de son trône, vont affronter, affrontent, ont affronté sept capitaines thébains conduits par Etéocle pour défendre la ville assiégée.

Si l’on exclut l’épilogue surajouté, Le Chœur des thébaines forme avec le messager et Etéocle, les trois seuls « acteurs » de cette pièce simplissime qui par la bouche des femmes et leurs lancinantes lamentations fait entendre malgré les cris, les exhortations et les pleurs qui constituent le bruit du monde, cet étrange silence de plomb qui marque un « tout est accompli », la ville est sauvée, la malédiction a porté ses fruits amers, la mort a fait son œuvre, les puissances vengeresses apaisées par le sang versé peuvent se retirer :

A cette porte où tout à l’heure ils se heurtaient se dresse le trophée de Désolation.
Les ayant tous deux vaincus le Ciel a désarmé.

Réservez

Les Perses (représentée en -472) – Mardi 10 juillet à 19h

Huit ans après avoir pris part à la bataille navale de Salamine (-480), Eschyle offre au concours tragique dont Périclès était le chorège cette évocation somptueuse d’une bataille victorieuse pour les Grecs, perdue pour les Perses, et c’est du point de vue des vaincus que le génial dramaturge dresse en creux le tableau en majesté de cet épisode crucial des guerres médiques. Seule œuvre de son répertoire liée à l’actualité, Les Perses sont néanmoins empreints de la dimension légendaire héroïque des grands récits mythiques où les dieux, les héros et les hommes tissent ensemble le destin du monde, du monde grec essentiellement.

Sur les marches du parvis du palais de Suse, le Chœur des anciens et plus fidèles compagnons du roi défunt Darius, sans nouvelles de leur armée lancée sur la Grèce, partage l’angoisse de sa veuve Atossa et porte la vision de ce désastre d’abord redouté et pressenti puis douloureusement déploré une fois avéré. Mais au-delà du deuil et de la souffrance infligée par l’anéantissement de la grande armée impériale, le poème tragique rend compte des facteurs d’échec – a contrario des raisons du succès athénien – et des responsabilités morales, politiques et religieuses imputables à l’ubris, la démesure du jeune roi Xerxès, fustigée par l’ombre du grand roi son père :

Quand on n’est qu’un mortel, on ne doit pas nourrir visées exorbitantes ; car la fleur et le fruit que porte Démesure, c’est Aberration ; et de ces épis-là on n’a, quand ils sont mûrs, qu’une moisson de larmes

Réservez

L’Orestie (représentée en -458)

Seule trilogie liée qui nous soit parvenue et qui était suivie du drame satyrique Protée, L’Orestie met en scène trois épisodes de la malédiction lancée sur la famille des Atrides en raison du crime monstrueux commis par Thyeste qui sous prétexte de se réconcilier avec lui offrit en souper à son frère Atrée les corps de ses enfants. Le récit commence avec le glorieux retour de Troie d’Agamemnon, fils d’Atrée et roi de Mycènes/Argos, et s’achève sur le procès fait à Athènes à Oreste son fils, procès qui met un terme à l’enchaînement archaïque des vengeances.

La mise en scène en cours de réalisation pour les représentations de Vaison-la-Romaine travaille un nouveau rapport au masque, au corps et au personnage. Le jeu masqué impose des codes gestuels porteurs de significations et le masque est lui aussi codé affichant les expressions et traits structurants des visages/personnes, prosôpa en grec et personae en latin. Au-delà ou en deçà des marqueurs psycho-sociologiques, le masque laisse voir ou deviner les traits animaliers révélateurs d’un personnage, à l’image des qualificatifs dont use Homère pour faire advenir les corps agissants de ses héros, tel Ménélas devenant le lion auquel il est comparé.

Une audace de plus et Philippe Brunet nous dit : « J’ai imaginé pour la nouvelle Orestie que cet animal normalement dissimulé dans le masque de l’acteur pouvait être manifesté à côté, avec l’acteur, porté par l’acteur, en même temps que lui, dans une co-présence qui définirait l’entité personnage, le cœur du personnage au creux de la main de l’acteur, à la source du geste. »

Agamemnon – Mercredi 11 juillet à 7h

Après dix années de siège où le combat orchestré par les dieux s’est achevé par la destruction d’Ilion, le massacre ou la mise en esclavage de ses habitants et la profanation de ses autels, le chef de la coalition victorieuse des rois grecs – partis venger l’honneur bafoué de Ménélas, frère d’Agamemnon et roi de Sparte, dont l’épouse a été « enlevée » par Paris-Alexandre, fils du roi troyen Priam, – revient à Mycènes en héros auréolé de sa gloire, accompagné de sa captive Cassandre, fille de Priam et prophétesse condamnée à n’être jamais entendue. Il est reçu somptueusement par son épouse Clytemnestre qui a préparé son assassinat avec la complicité de son amant Egisthe, fils de Thyeste, pour venger la mort de leur fille Iphigénie sacrifiée par son père pour permettre le départ de la flotte grecque immobilisée à Aulis par la colère d’Artemis jadis offensée par Agamemnon.

Une fois encore l’éblouissant talent de dramaturge d’Eschyle compose entre force et beauté des tableaux inoubliables comme cette scène initiale du veilleur guettant chaque nuit sur le toit du palais des Atrides le signal de la torche annonçant la prise de Troie. Une fois encore il confie au Chœur, ici celui des vieillards d’Argos, la responsabilité de nous faire partager les émotions éprouvées à l’évocation des blessures et des souffrances infligées, des espérances bafouées, des grandeurs assumées. Ainsi en témoigne cette strophe bouleversante ressuscitant un moment du sacrifice d’Iphigénie :

Mais, tandis que coulait à terre sa robe teinte de safran, le trait de son regard vint blesser de pitié chacun de ceux qui la sacrifiaient, car elle avait l’éclat d’un chef d’œuvre de peintre ; elle voulait parler, elle, qui tant de fois avait chanté aux beaux festins qu’offrait son père en la salle des hommes : avec la pureté de sa voix de pucelle, quand pour son père très aimé elle l’élevait très aimante, à la tierce libation en entonnant en son honneur l’hymne triomphant du bonheur.

Réservez

Les Choéphores – Mercredi 11 juillet à 19h

Du temps a passé mais ardemment et longuement espéré par sa sœur Electre que le meurtre de son père a plongé dans le désespoir, se profile le retour d’Oreste autrefois éloigné par sa mère pour l’abriter des incertitudes du sort en l’absence de son père. Accompagné de son ami Pylade il entre secrètement à Argos pour accomplir l’ordre donné par l’oracle d’Apollon de venger le roi assassiné. Il découvre sa sœur et les porteuses de libation, les choéphores, auprès du tombeau où il dépose à son tour ses offrandes se faisant alors reconnaître. Ensemble ils décident de faire périr le couple meurtrier et de présenter Oreste à la reine comme un étranger chargé de lui annoncer la mort de son fils. Ainsi introduit au palais, il égorge Egisthe avant d’affronter sa mère et, après quelque hésitation, de la frapper à mort.

Si le Chœur des Choéphores, ces captives troyennes devenues servantes au palais royal, proclame le triomphe de la justice vengeresse, Oreste épouvanté par son geste voit se lever contre lui les Furies/Errinyes qui poursuivent désormais le matricide. Affolé par ces figures noires et monstrueuses, le jeune homme s’enfuit pour chercher de l’aide auprès d’Apollon, commanditaire de ce meurtre « obligé » par la loi du sang. Coupable du pire des crimes imposé par la nécessité morale et religieuse de venger son père, Oreste empêché d’échapper à l’épouvantable dilemme est sur le point de basculer dans la folie :

Je ne sais quel sera le dénouement : c’est comme si les chevaux que je guide s’emballaient hors de la piste… C’est la déroute, mes esprits ne m’obéissent plus …Devant mon cœur préludent les trilles de l’Epouvante pour lui donner le branle à grand fracas …Ah tant que je garde encore ma raison, qui m’aime m’entende !

Réservez

Les Euménides – Mercredi 11 juillet à 21h

Sur le parvis du sanctuaire de Delphes, la Pythie s’avance vers le temple, y entre et en ressort bouleversée par la vision d’un suppliant ensanglanté et cerné par des monstres endormis. Apollon conseille à Oreste de se rendre à Athènes où Pallas le protègera. Après leur départ l’ombre de Clytemnestre relance les Furies indignées de l’aide d’Apollon à leur victime. Sur l’Acropole, Oreste encerclé par les Furies se jette aux pieds de la statue de Pallas. Le Chœur des vengeresses proclame la force et l’imprescriptibilité de sa loi. Athéna apparaît, interroge successivement les plaignants et décide de constituer un jury de sages athéniens pour arbitrer le débat, en dépit des protestations des Furies. Après l’interrogatoire d’Oreste et le plaidoyer en sa faveur d’Apollon, suivi des prescriptions d’Athéna pour le fonctionnement à venir du tribunal, cet Aréopage qui instaurera une Justice enfin délivrée de la loi du talion, les voix des votants se prononcent à égalité sur la culpabilité ou la non-culpabilité d’Oreste et c’est la voix d’Athéna qui emporte l’acquittement.

D’abord résistantes aux propositions de la déesse de demeurer en lien avec la cité et ses habitants, les Erinyes se laissent convaincre de devenir des Bienveillantes, Euménides protectrices vigilantes et honorées d’Athènes. Une procession les conduit solennellement à leur sanctuaire et les anciennes redoutables peuvent chanter :

Salut ! Bonheur à vous ! oui, je tiens à le répéter, deux fois bonheur à vous dans la cité, ensemble, tous, les dieux et les humains ! Fixés sur le fief de Pallas, et nous rendant, à nous vos adoptées, le culte qui nous est dû, vous ne vous plaindrez pas de ce que la vie vous réserve !

Ainsi s’achève l’œuvre peut-être la plus accomplie du théâtre grec dont la portée civilisatrice s’appuie sur cette rupture radicale avec l’ancien monde gouverné par l’impitoyable loi du sang qui appelle le sang, de la vengeance qui appelle la vengeance sous les auspices de divinités prescriptrices, et lui substitue une justice humanisée pesant le poids des fautes et des responsabilités sous le regard attentif mais peu à peu distancié de la déesse qui peut désormais se retirer des affaires humaines.

Réservez