Version du conte créée pour le Festival de danses de Vaison-la-Romaine de juillet 2016 et qui propose une interprétation contemporaine des principaux invariants du mythe dont les relevés les plus anciens viennent de la Grèce antique.

 

Matthias rentrait ce soir-là chez lui – mais était-ce bien chez lui ? – accablé plus que d’ordinaire par la perspective morose du diner en famille auquel il se devait d’assister. Sa mère lui infligeait ce pensum quotidien parce que Raoul son beau-père, si laxiste par ailleurs avec ses chères filles, entendait faire respecter cet ultime rituel du savoir-vivre ensemble d’une famille tristement recomposée. Il ne parvenait pas néanmoins à en vouloir à cette pauvre maman, célibataire mal assumée qui avait jugé bon la cinquantaine approchant de convoler en bien piètres noces avec ce veuf encombré d’une progéniture détestable et cela à seule fin d’assurer le vivre et le couvert à son asocial et très-aimé rejeton.

« On » le leur avait fait payer cher bien sûr et il était tacitement admis que Marie était priée de s’écraser à chaque vaine prétention de faire valoir le bon droit de son gaffeur de Matthias dont « les autres » ne supportaient plus les maladresses à répétition. Elle se précipitait pour éponger le énième verre renversé avant que n’éclate l’orage prévisible. « A croire qu’il le fait exprès » grondait Raoul, sourdement, pour ne pas exacerber les agacements de son ainée Mélanie à qui la seule vue de ce cohabitant obligé donnait des démangeaisons qu’elle grattait furieusement. Quant à Eglantine sa cadette, elle affectait de se boucher les oreilles pour ne pas entendre les bégaiements pitoyables de ce faux frère balbutiant de grotesques excuses.

Loin des yeux et des oreilles de leur père, les deux pestes crachaient à qui mieux mieux leur venin sur le misérable objet de leur ressentiment et ne distillaient publiquement à son intention qu’un perfide et jouissif commentaire au second degré qui navrait d’autant plus le cœur de Marie que son époux n’en percevait pas les violences meurtrières. Matthias les ignorait avec application mais se jurait in petto de venger la douleur silencieusement éprouvée par une soi-disant marâtre condamnée dès l’annonce du projet de mariage. Eglantine et Mélanie pardonnaient d’autant moins à leur père cette vie commune imposée qu’elles soupçonnaient peu à peu chez lui, en dépit de ses efforts pour dissimuler pareille extravagance, une étrange attention portée à l’usurpateur de l’infinitésimale parcelle de tendresse qui leur revenait en son entièreté selon la loi du sang et qu’il osait soustraire à leur dû pour l’accorder à ce triste bâtard.

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